Palairac histoire de l’église et des mines par S. E. Jacobs et M. Rzepecki

Tipeee / Parrainage

Reportage de Sally Elizabeth Jacobs sur l’église de Palairac

Dévoilement des mystères hermétiques : église Saint-Saturnin de Palairac

Nichée dans la pittoresque commune de Palairac dans l’Aude, en France, l’église Saint-Saturnin (ou Sernin) témoigne de siècles de recherche spirituelle et philosophique. Bien que ses origines remontent à l’époque médiévale, cette église modeste mais captivante est devenue l’objet d’intrigues, en particulier en ce qui concerne ses liens présumés avec la philosophie hermétique, l’alchimie et la franc-maçonnerie locale au cours du XVIIIe siècle. Les érudits et les passionnés se sont demandé si l’église Saint-Saturnin délivrait un message hermétique codé dans son architecture et son symbolisme, mettant en lumière les traditions mystiques du passé.

Vierge à la bille
Vierge à la bille

L’association de l’église Saint-Saturnin avec la philosophie hermétique et l’alchimie découle du symbolisme complexe et des motifs ésotériques qui ornent sa façade et son intérieur. Les caractéristiques architecturales de l’église, y compris ses portails, ses vitraux et ses éléments décoratifs, sont censées contenir des références allégoriques cachées à des principes hermétiques tels que l’unité des contraires, la transmutation de la matière et la poursuite de l’illumination spirituelle. Ces motifs servent de métaphores visuelles, invitant à la contemplation et à la réflexion sur les mystères de l’existence et le voyage transformateur de l’âme. 

De plus, certains chercheurs pensent que la franc-maçonnerie locale du XVIIIe siècle a influencé le symbolisme et l’iconographie présentés au sein de l’église Saint-Saturnin. Certains croient même que des symboles et des motifs maçonniques ont été incorporés dans la conception de l’église. Cependant, si l’on considère que la franc-maçonnerie a évolué via le compagnonnage avec ses origines au sein de l’Église catholique romaine, ces types d’églises et leurs intérieurs sont purement catholiques romains et non maçonniques. Un grand musée qui explique l’histoire des métiers, des guildes et des tailleurs de pierre est le Musée du Compagnonnage à Tours, en France. De plus, l’historien du Compagnonnage et de la Franc-Maçonnerie, Jean-Michel Mathonière, a d’excellents articles sur son site Academia. Plus tard, la franc-maçonnerie, qui mettait l’accent sur la connaissance ésotérique, le symbolisme et les enseignements moraux, s’est probablement croisée avec la philosophie hermétique et l’alchimie, formant une tapisserie de traditions spirituelles interconnectées. 

Au cœur du message hermétique prétendument véhiculé par l’église Saint-Saturnin se trouve le concept d’alchimie spirituelle – la transformation intérieure de l’individu pour atteindre la perfection spirituelle et l’unité avec le divin. À travers le langage métaphorique de l’alchimie, cette église, comme toutes les églises catholiques romaines, communique les principes intemporels de purification, de transmutation et d’intégration, invitant les visiteurs à se lancer dans leur voyage alchimique de découverte de soi et d’illumination.  

En Alchimie, le Christ représente la Pierre Philosophale et la Perle de Sagesse 

Dans l’Alchimie chrétienne (précurseur de l’Alchimie médiévale), la Vierge Marie a conçu le Christ sans sexe (l’Immaculée Conception), et la Perle a été considérée comme étant créée par la coquille sans sexe, par les rayons de lumière de la lune et du soleil. La perle est le symbole de la virginité et des vertus, faisant référence à la fois à Marie et au Christ. Marie est la Concha Mystica (la Coquille Mystique ou la Coquille Saint-Jacques) dans laquelle le « Verbe » et la « Lumière de Dieu » apparaîtront comme le Christ comme une Perle.

Bien que les preuves concrètes reliant l’église Saint-Saturnin à la philosophie hermétique et à l’alchimie puissent être insaisissables, les motifs symboliques et le contexte historique suggèrent une couche plus profonde de signification intégrée dans ses murs. Qu’elle soit considérée comme une expression tangible de la sagesse ésotérique ou comme le produit d’une coïncidence historique, l’église Saint-Saturnin continue d’intriguer et d’inspirer ceux qui cherchent à percer les mystères de la tradition hermétique. 

Le symbolisme à l’intérieur de l’église : la Vierge Marie et la perle dans l’église Saint-Saturnin de Palairac 

À l’intérieur de cette église, il y a deux statues de la Vierge Marie tenant l’Enfant Jésus avec une perle entre ses doigts. Cette image de la Vierge Marie tenant une perle entre ses doigts est un motif récurrent dans l’art religieux et l’iconographie, suscitant la curiosité et la contemplation chez les croyants et les érudits. Cette représentation, imprégnée de symbolisme et de signification spirituelle, invite à l’exploration de ses significations profondes et de ses implications théologiques. 

Vierge à la bille de Palairac
Vierge à la bille

Une interprétation de la Vierge Marie tenant une perle est enracinée dans la symbolisme chrétienne où la perle représente la pureté, la perfection et l’essence divine. Dans la tradition chrétienne, les perles sont souvent associées au Royaume des Cieux, comme le mentionne la parabole de la Perle de Grand Prix dans l’Évangile de Matthieu (Matthieu 13 : 45-46). La perle symbolise la préciosité de l’illumination spirituelle et le voyage de l’âme vers la perfection divine. En tant qu’incarnation de la pureté et de la grâce, la Vierge Marie est souvent représentée comme la porteuse de ce symbole de pureté spirituelle, incarnant les vertus d’humilité, de compassion et de dévotion. 

En outre, la perle tenue par la Vierge Marie peut également être interprétée dans le contexte de l’allégorie médiévale et du symbolisme mystique. Dans la mystique chrétienne médiévale, la perle était considérée comme un symbole du voyage de l’âme vers l’union avec Dieu, souvent représenté dans des textes allégoriques et des œuvres d’art. Archétype de la maternité divine et médiatrice entre l’humanité et la divinité, la Vierge Marie tient la Perle comme symbole de la quête de l’âme pour l’épanouissement spirituel et l’union avec le divin. 

De plus, l’imagerie de la Vierge Marie tenant une perle remonte aux anciennes traditions orientales où les perles avaient un symbolisme culturel et religieux important. Dans les cultures orientales, les perles étaient vénérées comme des symboles de pureté, de sagesse et d’illumination spirituelle, souvent associées à des déesses et à des figures féminines divines. La représentation de la Vierge Marie avec une perle peut ainsi refléter l’incorporation du symbolisme oriental dans l’iconographie chrétienne française, mettant en évidence les thèmes universels de la pureté spirituelle et de l’illumination transcendant les frontières culturelles. En conclusion, le symbolisme de la Vierge Marie tenant une perle entre ses doigts englobe une riche tapisserie de significations spirituelles, théologiques et culturelles, allant de la représentation de la pureté et de la perfection divine à l’incarnation du voyage de l’âme vers l’illumination spirituelle. 

La naissance de Vénus par l'artiste italien Sandro Botticelli 
La naissance de Vénus par l’artiste italien Sandro Botticelli

Comme vous l’avez vu avec l’exemple d’une autre Vierge Marie et la Perle d’une église du Xe siècle en France sans aucun lien avec la franc-maçonnerie, le symbolisme de ce thème n’a aucun lien avec l’alchimie non catholique romaine de l’ère moderne. La Vierge Marie et la Perle sont l’alchimie catholique romaine ; par conséquent, le symbolisme est bien connu de ceux qui étudient la théologie. Jésus, dans ses paraboles, a dit que le Royaume des Cieux est comme une perle de grande valeur cachée dans un champ (dans le judaïsme, Marie (Bet) représente le Royaume des Cieux). Voir Matthieu 13 : 44-46. La Perle est un titre christologique et représente la naissance virginale ; le Christ représente la vraie Perle. Voir Jean 109. 

D’autres symboles au sein de cette église correspondent à de nombreuses églises différentes, telles que les Tables de la Loi, l’Œil de Dieu (l’Œil Omniscient des Francs-Maçons), le Saint Sacrement et l’Arche de l’Alliance, etc. À l’extérieur de cette église se trouve un cimetière avec une croix moderne de Malte. 

Explorez cette église du 12e siècle, son histoire et la Réforme liturgique de Nicée 

Cette église est dédiée à saint Saturnin ; il fut le premier évêque chrétien de Toulouse, plus connu sous le nom de saint Sernin et, en latin, Saturninus. La légende raconte que Saint Saturnin a vécu au 3e siècle et a été chargé par le pape d’évangéliser la Gaule, et à Toulouse, il a établi une petite église peu de temps après son arrivée. Il devait passer par un temple païen là-bas, et les prêtres païens croyaient que leurs oracles restaient silencieux en raison de sa présence fréquente. La légende raconte que le prêtre païen s’empara de lui et exigea qu’il sacrifie à leurs idoles ; refusant, ils l’ont attaché à un taureau et l’ont fait défiler dans la ville. Après que la corde se soit rompue, deux femmes pieuses ont rassemblé ses restes et les ont enterrés dans un fossé profond pour empêcher les païens de les profaner. 

Saint Saturnin
Saint Saturnin

Pourquoi y avait-il des rois dans le petit village de Palairac dans l’Aude ? 

Ce petit village se trouve sur une frontière importante, ce que l’on appelle une Marche, et en 1283, le roi de France, Philippe III le Hardi, rencontra à Palairac Jacques II, roi de Majorque, comte de Roussillon et de Cerdagne, et seigneur de Montpellier, pour discuter de la juridiction de Montpellier ainsi que des autres châteaux et villages de la baronnie. Jacques reconnut par un acte du 18 août 1283, à Carcassonne, l’appartenance de ces lieux au royaume de France. Voyez l’Histoire générale du Languedoc, 6e volume, page 213. 

Avec sa dédicace au légendaire Saint Saturnin, cette église nous rappelle les conflits liturgiques et l’importance de l’influence espagnole dans cette région qui n’a pas toujours été française mais faisait partie de la Marche (frontière) de l’Espagne. L’histoire du martyre de Saint-Saturnin pour Toulouse est l’ancienne consécration de cette ville au christianisme. La Marche espagnole, également connue sous le nom de Marche hispanique, était une zone tampon militaire établie par Charlemagne en 795. Son but était de servir de barrière défensive entre le califat omeyyade d’Al-Andalus dirigé par les musulmans (qui couvrait la péninsule ibérique) et l’Empire franc carolingien (englobant le duché de Gascogne, le duché d’Aquitaine et la Septimanie). Plongeons dans les origines et le développement de cette région historique intrigante. 

Origines

  • La marche espagnole résultait de l’expansion vers le sud du royaume franc à partir de son cœur en Neustrie et en Austrasie. Cette expansion a commencé avec Charles Martel en 732, après des décennies de conflit entre les Francs et les Omeyyades (appelés les « Sarucènes »). 
  • La conquête musulmane de l’Espagne avait atteint les Pyrénées. En 719, les forces omeyyades remontent la côte est, submergeant la province wisigothe restante de Septimanie et établissant une base fortifiée à Narbonne. Ils ont assuré le contrôle en offrant des conditions généreuses à la population locale, des mariages mixtes entre familles régnantes et des traités. 

Conquête et établissement

  • Les Francs étendirent progressivement leur influence vers le sud, conquérant des territoires qui faisaient auparavant partie du royaume wisigoth d’Hispanie, mais qui étaient maintenant sous domination musulmane. 
  • Le premier comté à être conquis fut le Roussillon, avec le Vallespir, vers 760. 
  • En 785, le comté de Gérone, ainsi que Besalú, situé au sud des Pyrénées, sont également pris par les forces franques. 

Contexte géographique

  • La Marche espagnole correspond grosso modo aux régions orientales entre les Pyrénées et l’Èbre. 
  • La population locale de la Marche était diverse, comprenant des Basques, des Juifs d’Occitanie et une importante population gallo-romaine de langue occitane romane (composée d’Occitans et de Catalans) régie par le Code wisigoth. 
  • Au fil du temps, ces seigneuries au sein de la Marche ont fusionné ou ont obtenu leur indépendance de la domination impériale franque. 

Émergence d’entités autonomes 

  • De la tourmente des comtés de la région, la Principauté de Catalogne a finalement émergé. Elle comprenait plusieurs comtés qui ont fusionné avec le comté de Barcelone ou sont devenus vassaux. 
  • Les comtés qui faisaient partie de la Marche comprenaient Ribagorza, Urgell, Cerdagne, Peralada, Empúries, Besalú, Osona, Barcelone, Gérone (appelée la « Marche de l’Hispanie »), et le Conflent, le Roussillon, le Vallespir et le Fenouillet (appelée la « Marche de la Gothie »). 

Les Francs ont stratégiquement créé la Marche espagnole pour protéger leurs territoires du nord et maintenir un tampon défensif contre le califat omeyyade en Al-Andalus. Au fil du temps, cette région s’est transformée en un réseau complexe de comtés, jetant les bases de l’émergence de la Catalogne et d’autres entités autonomes. Au début du christianisme, les églises de Gaule cherchaient à fonder leur antériorité sur d’autres églises ou villes en créant et en confirmant des histoires fictives et merveilleuses qui deviendraient les légendes des saints qui ont apporté le christianisme en Gaule (histoires légendaires des soixante-douze disciples). Les légendes provençales concernant Marie-Madeleine font partie de cette littérature. Chaque église ou cathédrale (y compris Chartres) découvre soudain divers tombeaux antiques de familles gallo-romaines qui se transforment en saints de l’église des Gaules venant de Palestine. Le travail des clercs de l’Église des Gaules fut alors de fixer les légendes pour attirer le tourisme et proclamer son antériorité en d’autres lieux. 

Le culte de Saint-Saturnin fixe les limites du royaume wisigoth. C’est ainsi que la version définitive de la Passion de saint Saturnin a été écrite en prose à l’instigation de l’archevêque de Narbonne entre 913 et 926. Narbonne est l’église métropolitaine de Toulouse, ce qui explique le lien entre ce culte de saint Saturnin et la création d’une Passion qui confirmera l’antiquité du christianisme à Toulouse. Nous sommes à l’époque où les Francs carolingiens atteignirent la Septimanie et la Marche d’Espagne. Une nouvelle liturgie va s’imposer dans tout l’Empire carolingien. Cette réforme liturgique s’inspire des anciens ordines hispaniques, et de celles de l’ordo romain et elle provient des clercs de Narbonne. L’évêque de Narbonne prendra le titre d’Archevêque à partir du VIIIe siècle, montrant ainsi l’importance et l’extension du pouvoir de son église métropolitaine, pouvoir qu’il étendra sur les diocèses « catalans » de Barcelone, Vic, Gérone, Roda.

Une profession de foi trinitaire est ajoutée dans les deux plus anciennes messes conservées en l’honneur de saint Saturnin, célébrées le 29 novembre (dies natalis) et le 1er novembre (translatio). Ainsi, le culte de saint Saturnin par la Passio Narbonnaise (Passion de Narbonne) confirme un combat religieux commencé contre l’arianisme dès le Ve siècle. L’abbaye Saint-Victor de Marseille a participé à la diffusion des légendes de Saint-Potite liées à Saint-Saturnin. Le IXe siècle est l’époque des difficultés de la Marche d’Espagne, encore sous influence liturgique wisigothique, et des évêchés comme celui de Narbonne, où la liturgie romaine est établie et confirmée par la création de la Passio et le respect de la doctrine de Nicée. Saint Saturnin a été utilisé pour évangéliser le nord de l’Espagne. 

La basilique de Toulouse et son autel ont été consacrés à saint Saturnin, avec des ossements de saint Asciclès de Cordoue, également connu sous le nom de saint Cissicules, placés avec une partie du crâne de saint Saturnin. On dit qu’Ascisclès a eu son tombeau profané par le roi wisigoth Agila. Une chapelle rurale à Palairac a été dédiée à ce saint pour obtenir la pluie après la récitation d’hymnes qui appartiennent au christianisme populaire et à la magie chrétienne. Ainsi, par sa dédicace, cette église nous fait entrer dans les liens historiques et les conflits entre la France et l’Espagne, tant sur le plan religieux que liturgique, marquant ce lieu comme appartenant à la chrétienté romaine nicéenne des Francs. 

Nef de l'église de Palairac

Palairac, une Eglise catholique romaine

L’église Saint Saturnin de Palairac, en France, était catholique romaine et, étant la seule église de Palairac, elle desservait la petite communauté villageoise sous le ministère de divers prêtres. Cette belle église romane est un monument de l’industrie touristique des Corbières Minervois. Les francs-maçons et les chercheurs de Rennes-le-Château visitent cette église, pensant qu’il y a des liens et des symboles alchimiques liés au mystère de Rennes-le-Château. Cependant, comme nous l’avons lu, la symbologie au sein de cette église et de toutes les églises catholiques romaines est une imagerie symbolique et une allégorie catholiques romaines

Références

Evola, J. (2000). La tradition hermétique : symboles et enseignements de l’art royal. Traditions intérieures. 

McLean, A. (2014). Le Mercurius alchimique : symbole ésotérique de la vie et de l’œuvre de Jung. Cambridge Scholars Publishing. 

Yates, F. A. (2001). L’illumination rosicrucienne. Routledge. 

Waite, A. E. (2017). La doctrine secrète en Israël : une étude du Zohar et de ses connexions. Éditions Théophanie. 

Gambero, Luigi. Marie et les Pères de l’Église : la Bienheureuse Vierge Marie dans la pensée patristique. Ignatius Press, 1999. 

Otfinoski, Steven. Marie, Mère de Dieu : sa vie dans les icônes et l’Écriture. Notre visiteur du dimanche, 2000. 

Schiller, Gertrud. L’iconographie de l’art chrétien, Vol. I : L’Incarnation du Christ, et Vol. II : La Passion du Christ. A&C Black, 2012. 

Woodford, Susan. La Vierge Marie dans la littérature anglaise et la culture populaire de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne. Cambridge University Press, 2011. 

6 mars 2024, Sally Elizabeth Jacobs de Templarkey – Crédits photographiques ©

Saint Saturnin Church of Palairac (English article) ! Templarkey Magazine has been published quarterly since October 2021.

Interview de Michel Rzepecki

Johan Netchacovitch : Bonjour Michel Rzepecki, nous sommes heureux de relayer votre actualité littéraire avec la publication en juillet 2023 d’un livre sur l’église saint Saturnin de Palairac. Nos fidèles lecteurs ont suivi votre parcours depuis la conférence sur les mines des Corbières au Théâtre de verdure de Serres le mardi 24 juillet 2012, en passant par celle dans l’église du village de Palairac le 9 aout 2015 à l’occasion de la « Fête de la mine en Corbières ». Les diverses mises à jour de votre site consacré à l’église de Palairac et à ses mines ont été nombreuses ! Nous avons donc souvent relayé vos initiatives et, avant d’échanger sur votre livre, expliquez-nous pourquoi un ingénieur doublé d’un viticulteur, triplé d’un alchimiste dépose ses valises dans un village reculé de l’Aude, Palairac ?

Un écrivain de Palairac : Michel Rzepecki

Michel Rzepecki : Bonjour Johan, et d’abord merci d’avoir relayé mes infos concernant l’église de Palairac et les mines des Corbières, et de m’interroger encore aujourd’hui sur mon livre !
Ingénieur de formation, viticulteur dans la deuxième partie de ma carrière professionnelle, mais pas « alchimiste »… malgré les nombreuses années passées à l’étude de l’Alchimie.
A l’âge de 16 ans, avec un ami, je suis venu à Palairac… à vélo depuis Liège en Belgique. Ses parents y étaient propriétaires d’une maison. J’ai encore fait deux fois ce parcours à vélo les années suivantes et, en 1982, mes parents ont aussi acheté une maison dans le village.
Dès le début, j’ai commencé à visiter les mines de la région, principalement les mines d’antimoine. Fasciné par le lieu, j’ai décidé que je m’y installerai un jour. En 1987, j’ai quitté la Belgique et, pendant 15 ans, j’ai travaillé dans l’informatique à Carcassonne, passant mes week-ends à Palairac. En 2000, avec mon épouse, nous nous sommes installés viticulteurs dans le village. Dans la foulée, je suis devenu Maire, pendant près de 20 ans.

Michel Rzepecki et Johan Netchacovitch au Jardin de Marie le 24 aout 2023
Michel Rzepecki, à gauche, et Johan Netchacovitch au Jardin de Marie le 24 aout 2023

Johan Netchacovitch : Vous vous êtes impliqué très vite dans la vie culturelle et politique du village audois. En vous appliquant le paradoxe de l’œuf ou de la poule, la culture a-t-elle entraîné la politique ou vice versa ?

Michel Rzepecki : A vrai dire, c’est plutôt la culture de la vigne qui m’a mené à la mairie ;-). Plus sérieusement, j’avais été conseiller municipal, faisant quasiment fonction d’adjoint, s’occupant du budget, pendant 6 ans dans un village proche de Carcassonne. C’est principalement fort de cette expérience que je me suis présenté avec bien évidemment en arrière-pensée de faire quelque chose pour le passé oublié des Corbières et de Palairac. Mais cet aspect culturel et patrimonial s’est concrétisé lentement au fil des années.

Johan Netchacovitch : Vous avez fondé l’association « Mines en Corbières » en 2010 qui est un autre témoignage de votre implication dans la vie culturelle régionale. Quel était son but et comment a-t-elle évolué depuis ?

Michel Rzepecki : Après quelques rencontres sensibilisatrices avec les élus des villages concernés par le passé minier, il devenait important d’organiser la suite. La création d’une association regroupant les diverses communes paraissait la meilleure solution. Au début l’association s’appelait « Conservation et mise en valeur du patrimoine minier et métallurgique des Corbières ». Ce titre long montrait bien l’objet de l’association, mais était peu pratique à l’usage. Nous l’avons vite abrégé en « Mines en Corbières ». A l’époque, l’État mettait en sécurité plusieurs sites miniers. Nous avons établi une bonne relation avec l’État et nous sommes arrivés à ce que tout ne soit pas détruit. Cette collaboration a même permis un premier développement touristique sur Palairac, Villerouge-Termenès et Talairan.
L’association a fait beaucoup de communications et d’animations : conférences, sorties sur le terrain, livre sur les mines des Corbières, fêtes de la mine… et a largement fait connaître et même reconnaître, par le Département notamment, ce passé oublié. La fête de la mine est organisée à peu près tous les 2 ans depuis 2015.
En 2020, après inauguration de la première boucle de randonnée thématique sur le sujet, « Le Fer oublié du Plateau de Lacamp », fruit de notre collaboration avec l’État, j’ai quitté l’association en même temps que j’ai quitté la mairie. Elle poursuit aujourd’hui son travail dans le même esprit que les 10 premières années.

Église Saint Saturnin de Palairac – Une Demeure Philosophale ?

Johan Netchacovitch : Venons-en à votre livre « Église Saint Saturnin de Palairac – Une Demeure Philosophale ? » chez BoD, édité en juillet 2023 et réédité en octobre 2023, 246 pages, richement illustré. Comment vous est venue l’idée de cette publication ? En fait vous trouverez ci-dessous les 2 versions et leurs différences. Avis aux collectionneurs !

Edition initiale : parue en juillet 2023, 246 pages, 17 planches couleurs, ISBN : 9782322487813, 15 € : toujours en stock sur Amazon mais ne sera pas renouvelé.
Edition initiale : parue en juillet 2023, 246 pages, 17 planches couleurs, ISBN : 9782322487813, 15 € : toujours en stock sur Amazon mais ne sera pas renouvelé. COLLECTOR !!!

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Edition revue et corrigée : Sortie fin octobre 2023, 230 pages, 40 pages couleurs, ISBN : 9782322505326, 17 €, disponible sous forme d’Ebook, 7,49 €.
Edition revue et corrigée : sortie fin octobre 2023, 230 pages, 40 pages couleurs, ISBN : 9782322505326, 17 €, disponible sous forme d’Ebook, 7,49 €.

Acheter le livre, édition revue et corrigée !

Michel Rzepecki : Le site internet que j’avais créé en 2007 a reçu, au fur et à mesure des recherches, des textes résumant les découvertes ou les réflexions que j’ai eues sur l’histoire locale, l’église et les mines. En 2023, l’ensemble, bien que complet, était disparate et n’était pas présenté de manière linéaire. Il était difficile de comprendre comment j’avais pu arriver à une hypothèse sur l’origine de la décoration de l’église.
De plus, les visiteurs que je recevais me demandaient souvent s’il y avait un livre…
De là, l’idée de la transformation du site internet en livre. A présent, les pages correspondant au contenu du livre ne sont plus en ligne, mais des informations complémentaires à l’ouvrage sont disponibles, touchant souvent au côté « visuel », peu approprié à une édition papier. On y trouve ainsi de nombreuses photos, des vues « 3D », le texte sur l’Alchimie de Savoret, d’autres textes historiques, etc.

L'église saint Saturnin de Palairac sous la neige
L’église saint Saturnin de Palairac sous la neige

Johan Netchacovitch : Comme vous l’indiquez dans votre introduction, commençons par l’église saint Saturnin. Vous y organisez des visites guidées ; nous y reviendrons en fin d’article. Quelles sont les parties de l’église, de son mobilier, de sa décoration dignes d’intérêt ?

Michel Rzepecki : En fait, tout est quasiment digne d’intérêt ! L’extérieur, essentiellement le clocher et le calvaire, et l’intérieur. A l’intérieur, seules les statues en plâtre récentes n’ont, pour moi, pas d’intérêt parce qu’elles n’ont pas de « message » à faire passer. C’est essentiellement la décoration d’époque baroque (XVIIe ou XVIIIe) qui mérite l’attention. Située dans un minuscule village des Corbières, l’église de Palairac est cependant dotée de trois autels en marbre, de deux retables en bois doré, un troisième ayant été éliminé par le curé fin XIXe, de six statues en bois doré et de plusieurs peintures murales dont une assez énigmatique.
Mais c’est surtout les détails de ce mobilier qui sont spécifiques à Palairac, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, qui permettent de se poser certaines questions : Pourquoi ce décor et ces détails ici ? Qui l’a voulu ? Faut-il regarder toute cette décoration ancienne comme un ensemble cohérent qui délivre un message et lequel ? Etc.

Vue à 360° de l'église de Palairac

Voir l’intérieur l’animation de l’église de Palairac en 360° !

Johan Netchacovitch : Parmi les divers éléments mentionnés, la chapelle saint Roch avec l’autel, le retable, la peinture murale et les statues est le lieu à visiter. En guise d’exemple, pourriez-vous décrire une de ces composantes pour nos lecteurs ?

Michel Rzepecki : C’est dans cette chapelle Nord que j’avais remarqué, il y a très longtemps, ces deux éléments très particuliers : la Vierge à l’Enfant tenant entre son pouce et son index une petite bille !

La Vierge à la bille dans l'église de Palairac
La Vierge à la bille dans l’église de Palairac
La bille qui interpelle !
La bille en gros plan

… et la « fresque » en haut du retable avec son temple aux colonnes noire à gauche et blanche à droite, orné dans son tympan de l’œil dans le triangle. Cette peinture est très abîmée et difficile à dater entre le XVIIe et le XVIIIe. Au centre de la peinture, divers éléments religieux sont enchevêtrés les uns sur les autres, incitant à y voir une composition symbolique. Les deux tables de la Loi sont dessinées à l’avant-plan d’une croix et une ancre marine croisées en X. Les numéros VI, VII et VIII de la table de droite sont les seuls bien visibles. A côté du VIII, il y a comme un petit triangle. A l’avant des Tables semble représenté un calice. Serait-ce le Graal ? Tous ces objets écrasent ce qui peut être un serpent enroulé. Des « ombres », « reflets » ou « projections » rouges semblent produites par une petite boule rouge placée dans le coin supérieur gauche de l’espace central. Enfin, une grosse boule rouge est suspendue à la branche gauche de la croix… L’ensemble a une signification religieuse et je montre dans le livre qu’il en a très probablement une seconde, alchimique. Cette ambivalence des symboles est très importante.

La fresque

Johan Netchacovitch : Parmi le mobilier et les éléments décoratifs, vous mentionnez plusieurs fois des pièces rapportées. Elles amplifient les difficultés à discerner leur(s) sens. Quel exemple vous paraît le plus caractéristique ?

Michel Rzepecki : Les deux retables, comme les six statues en bois doré, n’ont pas été créés spécifiquement pour Palairac. Le retable de Saint Roch est le plus caractéristique : on l’a pris ailleurs et placé à Palairac. Certains éléments, des colonnettes et un décor latéral, n’ont pas pu être placés en raison du manque de place de la chapelle. Ces pièces sont conservées en mairie.
Autre exemple, la statue de Saint Roch a été volontairement modifiée, qu’elle soit une récupération ou non.
Pour résumé, quelqu’un, ou un groupe, a pris du mobilier d’un ou plusieurs autres endroits et, après quelques modifications, l’a placé à Palairac, dans un but précis. Un chineur, éclairé, de l’époque !

Johan Netchacovitch : Pour continuer la démonstration de l’intérêt de votre livre, nous avons relevé d’autres éléments qui interpellent et intéresseront nos lecteurs comme l’absence de toute représentation de Jésus-Christ dans l’église, l’emplacement très inhabituel de la chapelle de la Vierge qui mériterait des comparaisons avec d’autres églises de la région… En quoi son emplacement est-il particulier ?

Michel Rzepecki : Dans la plupart des églises, les cathédrales notamment, la chapelle de la Vierge (et le portail extérieur) est au Nord, à l’obscurité, caractéristique du travail de gestation. La chapelle Sud est réservée au Christ, en pleine lumière. La chapelle de la Vierge de Palairac est au Sud. Ce n’est pas une exception, cela se rencontre parfois, peut-être principalement dans le Sud de la France. L’église d’Armissan a par exemple exactement la même disposition qu’à Palairac, mais ce n’est peut-être pas un hasard…

Il y a toutefois une Vierge à l’enfant à l’entrée de la chapelle Nord, dédiée à Saint Roch. Bien plus, il y a une Vierge à l’enfant dans chaque chapelle et dans l’abside. Trois Vierges à l’enfant se présentent au fidèle, dont deux, les deux latérales, tiennent une perle entre le pouce et l’index, et l’église ne possède aucune représentation du Christ : adulte, en croix, au baptême, etc. Il fallait au moins un Christ en croix au-dessus du tabernacle : j’ai rajouté il y a 20 ans le crucifix actuellement présent.
Par cette absence du Christ et cette présence importante de la Vierge, il y a visiblement une volonté de faire passer un message.

Chapelle de la Vierge à Palairac
Chapelle de la Vierge

Les mines de Palairac

Johan Netchacovitch : Abordons la deuxième partie de votre livre qui étaie la première. Son titre est révélateur : « Le contexte historique, les influences, les interprétations et les origines de la décoration » ! Les mines de Palairac sont nombreuses, celle de La Canal mérite une présentation ! Pour les lecteurs moins au fait de l’histoire de la Haute Vallée de l’Aude, nous signalons que des mines de Camps-sur-l’Agly exploitées à l’époque romaine ont été fouillées à la fin du 20e siècle !

Michel Rzepecki : Oui Palairac était, disons-le, la commune la plus riche en mines des Corbières.
La mine de La Canal, ou mine de Couise, constituait la plus importante mine de cuivre argentifère des Corbières dont le principal minerai est la Panabase ou tétraédrite, un sulfosel d’antimoine, cuivre et fer.
Le cœur de la mine n’est plus connu depuis très longtemps, le Moyen-âge peut-être. La galerie de La Canal, galerie de travers-banc et galerie d’exhaure, fait environ 250m de long et mène à un éboulement dont aucun exploitant n’a pu venir à bout depuis le XVIIe siècle. Au sommet de la colline, le puits de départ n’est plus connu lui non plus.
Au fond, la galerie se divise en deux, la partie de gauche mène à un mur récent qui protège de l’éboulement, la partie de droite mène à un départ de galerie descendante constamment rempli d’eau.
La galerie a été percée manuellement, à la pointerolle et au feu, à une époque indéterminée entre l’Antiquité et le Moyen-âge. Ce percement a dû prendre plusieurs années et montre l’importance que pouvait avoir la mine.
Un canal a été creusé sur le coté droit tout le long de la galerie pour évacuer l’eau provenant du fond. il était jadis recouvert de lauzes.
Des légendes sont attachées à cette mine… Ce qu’il convient d’en retenir c’est que la décoration de l’église serait liée au travail des métaux. A noter que Jean-Louis Dubosc a entrepris d’important travaux dans cette mine avant de se faire débouter et partir pour Rennes-les-Bains !
Une particularité est attachée à l’entrée de la galerie : une porte la fermait. Mais le système de verrouillage de la porte ne pouvait s’activer que de l’intérieur…

Mine de La Canal à Palairac
Mine de La Canal à Palairac

Johan Netchacovitch : Vous détaillez certaines pistes explicatives philosophique, religieuse, alchimique, symbolique avec force détails et références. Parmi toutes celles-ci en privilégiez-vous une et pourquoi ? Ou bien, la compréhension réside-t-elle dans un mélange de divers pistes ?

Michel Rzepecki : La compréhension résulte d’un mélange des différentes pistes ou plutôt approches. La plus spectaculaire en terme d’interprétation est l’approche alchimique. Les processus, les matières, etc. s’interprètent en langage clair. Bien sûr, on peut voir des symboles alchimiques dans n’importe quelle église. Beaucoup se prêtent à ce jeu, souvent à tort. Mais ici, nous avons un terreau favorable, l’exploitation des mines, qui plus est d’antimoine, par des maçons, ou supposés tels avec une forte présomption, dont certains taquinaient l’Alchimie et la Théosophie. La « vraie », pas le théosophisme de Blavatsky ! Des données historiques interviennent ici avec des personnes connues. Les pistes sont liées et s’interpénètrent. Je montre la relation étroite entre la Théosophie de Jacob Böhme et l’Alchimie dite « opérative » (qui forment ensemble l’Alchimie). L’expression de la Philosophie de Jacob Böhme est prégnante dans l’église. Cette Théosophie fut reprise par L.C. de Saint-Martin qu’aux dires de Papus, Chaptal, Grand Officier du Grand-Orient et exploitant minier à Palairac, a bien connu. De même les Philadelphes de Narbonne étaient très liés aux Philalèthes de la loge des Amis Réunis, à la pratique et au laboratoire alchimiques avérés. Savalette de Langes était un Philadelphe et de Chefdebien un Philalèthe. Ils ont beaucoup collaboré. Savalette de Langes était de la famille à Pailhoux de Cascastel, de même que le Marquis de Chefdebien à partir de 1792…

La fenêtre de l'abside derrière le retable à Palairac
La fenêtre de l’abside derrière le retable

La piste maçonnique

Johan Netchacovitch : Nous avons gardé la dernière piste, la maçonnique car, chronologiquement, elle clôt votre étude mis à part les annexes. Elle attirera aussi l’attention de nos lecteurs car on y trouve certains liens avec Rennes-le-Château comme dans des articles mis en ligne dans notre média comme Rennes-le-Château secret maçonnique ou Le secret de Boudet – La piste maçonnique teintée de Rose-Croix !

En lisant ce chapitre, nous repensions à une erreur si courante qu’elle nous paraît suspecte dans le rejet de la franc-maçonnerie quand on veut expliquer des éléments décoratifs de l’église de Palairac ou de Rennes-le-Château. Et cela parce que la franc-maçonnerie est toujours opposée à la religion, nous dit-on ! Encore faudrait-il identifier le type de franc-maçonnerie peut-être présente dans ces lieux : serait-ce une franc-maçonnerie chrétienne souvent oubliée même par des maçons contemporains ? Vous évoquez d’ailleurs dans votre livre : « fin XVIIIe siècle, une maçonnerie moins « classique » […] était présente dans la région. » (p. 100) Ou « dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, […] une Franc-maçonnerie « particulière » se considérait encore héritière de l’antique Tradition Alchimique, opérative. » (p.104)

Michel Rzepecki : Si je parle d’une maçonnerie moins classique ou encore particulière, ce n’est pas pour évoquer une Franc-maçonnerie chrétienne, parce qu’au XVIIIe la Franc-maçonnerie était chrétienne (créée par des Chrétiens), mais pour évoquer une maçonnerie « non-spéculative » qui pensait que le but de la maçonnerie était la découverte du Grand-Oeuvre. C’était le cas de la Franc-maçonnerie inspirée par le Baron Tshoudy ou par Pernety, de celle des Philalèthes, de celle des loges de rite écossais philosophique ou encore de la maçonnerie dite « égyptienne » de Balsamo, à laquelle les Philadelphes de Narbonne ont ensuite contribué.
En 1723, les Constitutions d’Anderson, un pasteur, précisent que le maçon ne sera ni « athée stupide ni libertin irréligieux » et devra « s’astreindre à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d’accord ». Bref, il fallait croire en Dieu et être Chrétien…
La Franc-maçonnerie spéculative est aujourd’hui multiple avec deux grandes orientations : spirituelle ou sociétale. Cette dernière orientation est principalement celle du Grand Orient. En 1877, cette obédience a supprimé de sa Constitution la notion de croyance en Dieu : chacun est libre de croire ou non. Mais le « pas croire » et une vision laïque dotée d’un anticléricalisme avaient déjà commencé au cours du XIXe. C’est cette obédience qui « bouffait du curé ». Elle régnait en maître dans l’Aude du temps de Bérenger Saunière.
Toutefois le rite est important. Si le maçon d’aujourd’hui choisit par exemple le rite écossais rectifié, créé par J. B. Willermoz dans les dernières décennies du XVIIIe, le caractère chrétien (christique) apparaît de manière importante dans les ateliers supérieurs, quelque soit l’obédience. Cela transparaît moins pour les grades bleus où vous pouvez ne pas croire ou être d’autre confession que chrétienne.
Tout cela pour dire que la Franc-maçonnerie a beaucoup évolué depuis sa création et qu’il faut l’appréhender dans son contexte historique.
Il n’y a aucun symbole proprement maçonnique dans l’église de Palairac, ni d’ailleurs à Rennes-le-Château. Mais la philosophie représentée, de même que l’Alchimie opérative qu’on peut y voir, étaient propres à certains francs-maçons de la fin du XVIIIe siècle, et présents dans la région. C’est ce côté historique et des croyances liées à l’époque qui importe et qui permet d’expliquer les actes de certaines personnes. Enfin, peut-être…

Station I du chemin de croix de Palairac
Station I du chemin de croix de Palairac

Johan Netchacovitch : Ensuite une famille bien connue dans les affaires de Rennes-le-Château, les Chefdebien de Narbonne, apparaît dans cette piste franc-maçonne. Rappelons qu’une des pistes du financement de Bérenger Saunière est liée au Cercle catholique de Narbonne (fondé entre autres par les Chefdebien) que son frère, Alfred, a présidé à plusieurs reprises. Frère qui a été également précepteur des enfants du marquis de Chefdebien ! Quels seraient les liens entre cette famille et l’église et les mines de Palairac ?

Michel Rzepecki : D’abord, nous sommes un siècle avant Bérenger Saunière, fin XVIIIe. Aidé par Chaptal pour l’exploitation des mines d’antimoine, le seigneur et entrepreneur local Pailhoux de Cascastel aurait appartenu à la (plutôt une) loge des Philadelphes de Narbonne. C’est R. R. Dagobert qui l’affirmait sans donner exactement sa source. Mais il est vrai que Pailhoux de Cascastel était entouré dans sa famille par des maçons affiliés à la loge Narbonnaise, dont le Marquis de Chefdebien. Les 48 maçons du tableau de la première loge du Rit des Philadelphes n’ont pas été les seuls Philadelphes. Mais nous n’avons pas d’archives sur les loges « satellites »… L’Alchimie était présente dans le chapitre « Fraternité Rose-Croix de Grand Rosaire » de cette loge.
Donc, Joseph Gaspard Pailhoux de Cascastel, Philadelphe fort plausible, apparenté à François-Marie de Chefdebien et à Charles Savalette de Langes, s’est allié en 1782 avec le chimiste Jean-Antoine Chaptal pour n’exploiter que les mines de Stibine (sulfure d’antimoine) de Palairac, Maisons et Quintillan jusqu’en 1800. Tous étaient intéressés par la Théosophie et, pour certains, par la pratique alchimique dont la Stibine constitue la matière première d’une des voies. Et l’église de Palairac est à l’écart du village… Ont-ils ressenti le besoin de laisser un témoignage de leurs croyances, pouvant servir aussi à l’instruction ?
Voilà un faisceaux d’indices à prendre en compte !

Johan Netchacovitch : Nous laissons le soin aux lecteurs de votre livre de découvrir l’étrange Joseph Gaspard Pailhoux de Cascastel, la cloche Hermestine ou l’hypothèse de votre conclusion sans oublier la visite à Palairac des rois de France et de Majorque (que diable allaient-ils faire « dans un village minuscule […] et au château sans importance », p. 183 ?), l’analyse détaillée de la fresque murale, l’inénarrable Roger-René Dagobert (lire Le Roi Dagobert – Histoire d’une famille et d’une chanson” ou le télécharger gratuitement) présent aussi dans les énigmes castelrennaises qui revendique une descendance… mérovingienne (cela vous rappelle-t-il quelqu’un ?), le sieur Dubosc qui rouvrit les mines du Cardou à Rennes-les-Bains (lire les mines de Rennes-les-Bains), une certaine Anne Catherine Emmerich ou le vol d’une partie des archives des Chefdebien chez le docteur Paul Courrent qui officia aux thermes de Rennes-les-Bains… Bref, de quoi découvrir, ouvrir ou fermer des portes ! A ce propos, vous en ouvrez régulièrement puisque vous proposez des visites guidées de l’église et des mines très prisées des francs-maçons, nous a-t-on dit ! Pourquoi sont-ils venus et comment réagissent-ils ?

Transept de l'église saint Saturnin de Palairac
Transept de l’église saint Saturnin de Palairac

Michel Rzepecki : Tout a commencé, après consultation du site internet, par la visite d’un maçon de la GLNF de Narbonne, membre de la loge actuelle des Philadelphes, créée en souvenir de la loge des de Chefdebien du XVIIIe. Ils sont ensuite venus assez nombreux et m’ont demandé de faire une conférence chez eux à Narbonne.
Le plus souvent, ce sont des maçons de Memphis-Misraïm qui viennent visiter (maçonnerie « égyptienne », héritière en partie des Philadelphes de Narbonne). D’autres sont venus qui gravitent autour de Rennes-le-Château…
La plupart du temps, nous visitons l’église et les mines.
Des alchimistes, souvent maçons, viennent aussi. Des groupes viennent également dans le cadre de stages de formation à l’Alchimie avec encore visite de l’église et des mines.
Qu’en pensent-ils ? En réalité, dans leur for intérieur, je ne sais pas… Mais tous sont très satisfaits, notamment par rapport à l’Alchimie opérative et son pendant théosophique : l’indissociable caractère « spéculatif » et opératif de l’Alchimie, les interprétations du mobilier, la description claire des matières et des processus, le fait que tout cela se « goupille » bien, etc.
Même si j’ai un double langage…

Johan Netchacovitch : Vos lecteurs ne s’attendent certainement pas à trouver au fil de vos recherches un auteur très sceptique sur les différentes pistes évoquées avec une bonne dose d’humour et de sarcasme ! Tout le monde en prend un peu pour son grade.
Nous ne résistons pas au plaisir de vous citer :
P. 8 : « Ma position générale par rapport à ces sujets religieux et alchimiques, reste en permanence celle d’un observateur qui utilise leurs langages mais… sans y croire. »
P. 67 : « Une chose est sûre, les Religions de nature « révélée », dogmatiques et se cachant derrière cette « Révélation » 25 … Votre note en bas de page : « Cela vient d’en haut, faut pas contester. »
P. 91 : note 49 de bas de page : « La « cordonite » et la hiérarchie dans la FM n’aident pas de surcroît. »
P. 221 : « La fable des parchemins et de la confession de la Marquise de Nègre d’Ables sert de base à Roger-René (Dagobert NDLR) pour développer ses hypothèses, alors que toutes ces indications ne sont que des inventions de Pierre Plantard sur des personnages existants. »
P. 222 : « L’affaire (de Rennes-le-Château NDLR), qui ne repose déjà au départ que sur bien peu de faits avérés, serait-elle devenue elle-même, au fil du temps, génératrice de sa propre histoire ? » Cette citation mériterait de se trouver en exergue de nombreux livres sur les affaires castelrennaises (NDLR) !
P 225 : « Pour ceux qui cherchent le corps du Christ (dans la région des deux Rennes NDLR), allez dans une église un dimanche : on vous le donnera sans problème. »
Seriez-vous un grand sceptique, Michel Rzepecki ?

Michel Rzepecki : Oui je suis un sceptique !
Le voilà mon double langage. Autant je parle d’Alchimie comme un « alchimiste », ou même de religion comme un « religieux », autant je prends soin de dire que, pour moi, tout cela n’est que chimère ou croyance. En effet, je me place du côté de la science et de la rationalité. Je ne pouvais dans mon livre cacher ce côté, déjà présent dans le site Internet. Cela ne m’empêche pas de parler ouvertement des voies (supposées) alchimiques, et d’essayer de montrer sur quoi l’Alchimie repose !
On peut très bien faire appel aux « sciences occultes » pour expliquer historiquement les agissements de certains individus, ce qu’un historien « académique » hésite un peu à faire, souvent par manque d’étude de ces sujets marginaux et pour ne pas plomber sa réputation. Mais étudier ne veut pas dire adhérer…
Notons que ce scepticisme s’applique aussi à mon livre et ses arguments : c’est pourquoi je termine en disant : « Mais tout ceci peut n’être qu’une ‘belle histoire’ ».
Contrairement à beaucoup, je n’affirme rien, ce ne sont que des hypothèses, mais plausibles d’après l’argumentation.
C’est au lecteur de juger les interprétations et la pertinence des arguments qui mènent à la conclusion. Conclusion qui essaye de retrouver par qui, quand et pourquoi la décoration de l’église a été faite, dans un cadre historique compte tenu des croyances de l’époque.
Pour terminer, je dois avouer que l’essor de l’ésotérisme actuel m’inquiète, où on dit de tout et n’importe quoi. Il n’y a qu’à voir la taille et le contenu du rayon ésotérisme dans les librairies pour s’en rendre compte…

Johan Netchacovitch : Michel Rzepecki, nous vous remercions pour votre accueil et votre disponibilité. Pour prolonger notre interview, nous conseillons à tous nos lecteurs la visite de votre site sur Palairac ! Enfin comment peut-on vous joindre pour la visite guidée de l’église, des mines ?

Michel Rzepecki : Par email : michelrzepecki at orange.fr ou par tél. : 06 33 00 10 92 ! Merci Johan !

18 février 2024, Johan Netchacovitch © – Pour les photos Michel Rzepecki ©


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