Le Glaive sur le Monde analyse hermétique vers la Menorah

Tipeee

Le Glaive sur le Monde

Le phénix de la Menorah

Publié en 1928, ce roman de Luc Alberny met en lumière la doctrine dualiste du zoroastrisme et par extension celle du manichéisme, du bogomilisme et du catharisme. En trame de fond, une passion amoureuse enchaînée dans les circonvolutions d’une “oeuvre au noir”, elle-même engendrée par une société secrète : “L’Ordre des Parfaits”. Une organisation dont les ramifications tentaculaires lui permettent d’agir dans l’ombre des plus grands dirigeants de ce monde. Le but de cet ordre ? le déclenchement d’une guerre mondiale totale, infernale et sans limite ; l’extermination par le feu des corps charnels démiurgiques ! Tous victimes et coupables de leur pulsion animale de reproduction, il convient d’annihiler l’amour entre les êtres de chair. Eteindre ce vil désir charnel engendrant les corps diaboliques, véritables prisons pour les âmes divines, voilà le but ultime de l’organisation meurtrière. En marge de ce sombre dessein, le trésor mythique des wisigoths renaît de ses cendres sous la plume de Luc Alberny. La Menorah (“qui provient de la flamme”), candélabre d’or à sept branches, apparait tel un Phénix aux ailes déployées. Symbole du combat de l’Ordre des Parfaits. Arbre sacré selon les uns, soleil entouré de ses planètes selon les autres. Dans tous les cas, il s’agit d’une lumière rayonnante au centre du monde, et vers laquelle Tout converge. En ce sens, la Menorah résume, à elle seule, la pensée profonde des protagonistes de cette histoire : accéder à la lumière divine ! De fait, les éléments gnostiques et alchimiques s’enchaînent et se bousculent dans cet ouvrage, comme nous allons le découvrir.

Le glaive sur le monde de Luc Alberny

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Le Fixe et le Volatil

Tout débute autour d’un marais situé à Yenitse Golü. C’est à cet endroit qu’un avion, dont on ignore tout, s’est posé (principe fixe) sur un terrain boueux réputé impraticable. Fait étrange, un second avion inconnu de l’armée, survole (principe volatil) à très haute altitude cette même zone marécageuse… On observe donc très rapidement les principes du fixe (Soufre) et du volatil (Mercure), en parallèle du principe dualiste échafaudé entre le céleste (divin) et le terrestre (démiurge), ou le pur (l’âme) doit être séparé de l’impur (corps) afin de recouvrer la lumière divine. C’est dans ce sens que le “catharisme gnostique” rejoint la “gnose alchimique”. Car l’alchimie nous enseigne la réconciliation entre les principes opposés. Ainsi le corps physique est considéré ici comme le creuset de la réalisation où s’opèrent les phases permettant la renaissance, dans l’amour, de la tunique de lumière divine dissimulée sous la vêture de peau démiurgique. Les étapes des différentes opérations alchimiques sont ici dévoilées, sous la plume de l’auteur, encore faut-il savoir décoder ce qui a été dissimulé.

Nigredo

Dans sa description de la contrée, on serait tenté de penser que Luc Alberny nous oriente vers une “oeuvre au noir”, tant la putréfaction, la noirceur et la mort se dégagent du vocabulaire usité : “Plaine brûlée” ; “Le pays paraissait absolument désert” ; “Terre atteinte de décomposition lente, semblait destinée à disparaître peu à peu, envahie par la boue et les roseaux.” ; “Je descendis lentement les degrés de bois, et me retrouvais dans l’écurie à demi-obscure et qui sentait le purin.” ; “Des flaques d’eau saumâtres dégageaient dans l’atmosphère une odeur fade et malsaine. Le Yénitse-Golü prenait au soleil couchant, des teintes froides de métaux.” ; “On ne voyait personne aux environs.” ; “Cependant, ici et là, émergeaient de la boue des formes monstrueuses, noires…” ; “…eau verdâtre.” ; “…le marais immobile et silencieux, semblait rétracter son âme mystérieuse sous le linceul blafard de ses eaux mortes.” ; “Une odeur infecte et pestilentielle se dégageait de ses eaux croupies.” C’est dans cet enfer que l’infirmier Denat se perd. “La connaissance des voies d’accès qui permettaient de parcourir cette immense mer de boue, devait mener, d’après lui, à de merveilleuses découvertes.” ; “Ce rêveur inoffensif avait voulu pénétrer le mystère du Yénitsé-Golü et le marais s’était refermé silencieux, sur celui qui venait violer le secret de ses eaux mortes.” Dans le cadre de cette indéniable phase de Nigredo, deux habitats coexistent. Le premier est décrit comme un “palais” ou un “château”. En réalité, il s’agit d’un campement militaire improvisé… le second est une maison “d’apparence mystérieuse”, “à demi fortifiée” et gardée par deux chiens de garde répondant aux ordres d’une jeune fille qualifiée par l’auteur de “petite déesse”.

Maritza, le Lys Royal…

“Le soleil jouait des reflets de pourpre et d’or sur son corsage et de lourds cheveux noirs retombaient à peine noués sur ses épaules”. Dans l’art royal, c’est de la putréfaction d’où naît la pierre philosophale, comme la représentait Bérenger Saunière, dessinée sur une page de cahier (fleur de lys noire surmontée du sceau de Salomon). Une fleur de lys noire surmontée d’une étoile représentant le sceau de Salomon, soit la pierre tant convoitée.

Autant dire le Graal, que l’abbé Saunière assimile à Marie-Madeleine dans l’arrangement statuaire de son église. Et que son contemporain, initié, Maurice Maeterlinck, associe au Grand-Oeuvre alchimique dans sa pièce de théâtre “Marie-Magdeleine” : “Elle était vêtue d’une robe qui paraissait tissue de perles et de rosée, d’un manteau de pourpre tyrienne à grenades de saphirs ; et parée de bijoux qu’alourdissait un peu le faste oriental. Quant à sa chevelure, je présume que, dénouée, elle couvrirait d’un voile d’or impénétrable la surface de cette vasque de porphyre.” ; “…la rose de Magdala et le lys de Béthanie” ; “Marie-Magdeleine qui est demeurée immobile, comme en extase, et tout illuminée de la clarté des torches qui s’éloignent.”

Maritza incarne donc cette fleur de Lys, ou encore la Rose rouge née de la boue. Cette jeune macédonienne offre au regard “l’attitude d’une hiératique princesse de légende“. Il est précisé qu’elle porte une chaîne d’or autour du cou et que la petite déesse avait “rectifié l’arrangement de sa coiffure.” Elle est la pierre philosophale. Par son père, Kamenef, elle reçut une éducation religieuse axée sur le zoroastrisme et le bogomilisme. Bien que dans les faits, il s’agisse d’une variante religieuse, voire d’une dérive du bogomilisme, puisque Kamenef s’emploie à vouloir déclencher le chaos et la guerre (par le feu), dans ce monde de matière créé par le démiurge. Il croit en effet, qu’il est nécessaire d’accélérer la séparation des âmes liées aux corps, ces réceptacles de l’âme conçus pas le démiurge. Par accélération, il faut entendre destruction de la matière sous toutes ses formes, dont les corps physiques, afin de libérer les âmes emprisonnées. Le meurtre est donc envisagé comme un acte libérateur même si cet acte abominable enfreint la loi immuable du “non-agir”, qui seule, permet d’accéder à la libération, la connaissance et donc à la Lumière d’Amour, qui est également la Lumière alchimique. D’ailleurs, pour figurer ce qui vient d’être énoncé, il est dit qu’à l’extérieur du domaine de Kamenef et de Maritza à Vladovo, on retrouve en divine posture (du “non-agir”) : “Ahmed, devant la porte, assis philosophiquement…” (soit le Philosophe Alchimiste) Agir et non-agir ne sont d’ailleurs pas incompatibles puisque le mouvement ou Agir, s’exerce toujours autour de l’axe immobile et immuable du non-agir.

Albedo

Réédition du livre de Luc Alberny Le glaive sur le mode chez Septera Editions

Changement de décor à Yénitsé-Vardar où l’on découvre une “petite cellule carrée et blanchie à la chaux.”
Salonique est une “tour de Babel” où se côtoient les Turcs, Juifs, Grecs, Bulgares, Albanais, Serbes et Roumains… On y découvre aussi le casino (blanchiment d’argent) de la “Tour Blanche“. Indéniablement, nous sommes en phase Albedo comme le laissaient envisager les petits Loustros, cireurs de chaussures de Salonique. Autrement dit, nettoyeurs de chaussures. Ce qui accentue l’idée de blanchiment par le lavage, phase de l’Albedo, comme démontré par le vocabulaire alchimique distillé ci-après. Contrairement au désert marécageux, ici “la moindre boutique se louait à prix d’or.” On y découvre également des “races multiples” (métaux) et “les sveltes minarets blancs qui montaient dans le ciel à côté des noirs cyprès…” Mais aussi des “foulards multicolores” ; un “fruit défendu”. Dans cette phase, la princesse Démétria qui est la dernière princesse des Bogomiles, fait son apparition. On mentionne : “Un colossal albanais en large culotte blanche…” et l’on signale que la princesse a les yeux verts tout comme les volets de sa demeure. Dans la continuité, l’or fait son apparition : “…voir le soleil disparaître dans ses fastueuses draperies d’or.” “Dans les lointains vaporeux, des symphonies de couleurs ébauchaient de fastueux décors, et la ligne de crêtes limitant l’horizon, se profilait violemment en bleu sombre sur les coulées de métaux rares qui enflammaient le ciel.” Tout est dit…

C’est auprès du père de Maritza que le Dr Dormans intervient. Kamenef est en effet inanimé dans sa demeure des marécages. Tout à coup, un bombardement d’avions détruit partiellement sa maison et Maritza s’évanouit. Le docteur décide alors de la réveiller avec de l’éther (cinquième élément) : “Un peu de rosé revenait à ses joues”. Plus tard, c’est au tour de Kamenef (père de Maritza) pour qui la rosée céleste se fait jour : “Une teinte rosée paraissait aux pommettes”.

La rosée est l’intermédiaire entre le ciel et la terre. Elle aide à la dissolution de la matière au cours de l’oeuvre au noir (Nigredo) et s’achève quand le corbeau blanchit, dans l’oeuvre au blanc (Albedo).
Suite à la déflagration de la bombe, le Dr Dormans découvre sur le sol de la pièce un livre très ancien traitant du trésor d’Alaric le Grand. Un trésor qui reposerait dans la cité de Carcassonne… L’auteur prend soin de donner une dimension hermétique au texte écrit en vieux français. Une double interprétation est ainsi proposée lorsqu’il est précisé que “les dépouilles du Temple de Salomon pourroient enfin servir de matière à l’oeuvre…” (soit au “Grand-OEuvre”…). Quoi qu’il en soit, les richesses du roi des wisigoths semblent encore demeurer à l’intérieur de la cité de Carcassonne, et Kamenef en détient le secret !

Rubedo

Suite à un enlisement dans les vastes étendues de vases du marécage, Maritza sauve la vie de l’aide-major Dormans, affilié à l’armée d’Orient. Ce dernier lui demande alors un baiser. Maritza s’enflamme et change d’état : “Elle devint très rouge.” (Rubedo)

En tant que dernière représentante des bogomiles de l’ordre des parfaits, la princesse Démétria préside les cérémonies religieuses. Celle-ci défend la thèse que nous sommes tous sur terre des créatures de Satan et que nos corps, constitués de matière, expriment la chute originelle. Kamenef, qui épouse cette doctrine, déclenchera lui-même l’incendie de Salonique pour extirper les âmes de la matière. Qualifié à la fois de fou, prophète ou encore sorcier diabolique, Kamenef sait communiquer avec le feu purificateur dont il attise le pouvoir par ses incantations… Ainsi, le feu est l’élément qui doit consumer, détruire le monde de la matière, issue du démiurge. Sous ses adjurations : “un globe de feu s’éleva, éclairant d’une lumière intense tout le pays…”. Puis survint “le silence des tombeaux”. “Une lutte dernière se préparait. Les deux grands éléments : l’Eau et le Feu allaient s’affronter”.

Car il est dit : ” Tu laveras avec le feu et tu brûleras avec l’eau”. Ici, c’est la Salamandre qui opère. D’ailleurs, on pourrait prétendre, dans une étymologie imaginaire, dont l’auteur aurait pu souscrire, que “Salonique” est vouée à dissoudre, comme le Sel/Sal ou Alun : Salun, Salunique. Qui rend fusibles les choses (à qui on les ajoute) avant qu’elles se vitrifient… (Le manoir de la Salamandre Etretat ouvre aussi des portes alchimiques NDLR).

“Le Ciel, la Mer, la Terre, tout n’était que flammes !” (fusion des quatre éléments !). “Tout était rouge, pourpre et or.” Le Grand-OEuvre accompli, Kamenef devient l’artiste qui détruit la matière des corps par le feu, afin d’en extraire la substantifique moelle : l’âme !

C’est donc à Salonique qu’il convient de dissoudre les scories sataniques issues des corps et par-delà les races, pour tendre à la perfection de l’âme : “Toutes les races (comprendre : métaux) de Salonique étaient entremêlées et confondues (comprendre : fondues) dans cet abri (comprendre : creuset).”

La fille du prophète, Maritza, tente alors d’accéder à l’intérieur de la ville de Salonique pour sauver son père. Mais à la place du père (qui lui a inculqué la négation de l’amour démiurgique), c’est son amant, le docteur Dormans, qu’elle retrouve aux portes de la ville… Un nouveau conflit intérieur la submerge, de nouveau en proie à son désir d’aimer et d’être aimée ; ce qui est contraire à l’enseignement religieux de son père : “Il faut savoir ne pas aimer, comprenez-vous… Aimer, c’est rester dans la nuit ! c’est vouloir enfouir nos âmes ! Il faut s’élever au contraire, plus haut ! toujours plus haut !”

Mais conformément à la doctrine bogomile, le Dr Dormans réussit à lui faire comprendre que l’amour pur et profond peut exister, au-delà des sens et de la chair périssable : “Dans la nuit aux reflets rougeâtres, nos deux ombres passaient dans la ville détruite, comme deux fantômes… Et sur le terrain que le feu abandonnait à peine, ainsi déjà se révélait vainqueur, l’amour éternel et imprescriptible.”

De sorte qu’un “amour courtois”, qui élève l’âme, est en parfaite adéquation avec le principe dualiste de Maritza qui tend vers l’unification par la purification : “Père m’avait bien dit qu’il fallait chasser au loin toutes les pensées de la Terre, élever mon âme pure vers la Lumière.” ; “il faut nous libérer… s’élever toujours…”

Dans la chambre qui constitue le “vase”, le couple alchimique formé par le Dr Dormans (le Roi) et Maritza (la Reine) procède à l’opération véritable : “Nous tremblions comme de simples feuilles sur lesquelles se déchaînait un terrible orage.” Durant quinze jours, le Dr Dormans éprouve un excès de température…

Pendant ce temps, Maritza débarque à Marseille (à l’image de Marie-Madeleine…). Plus tard, les recherches du Dr Dormans pour la retrouver s’avéreront infructueuses. On note le vocabulaire hermétique employé : “Sous le ciel noir au milieu de ces ruines.” (Salonique) ; “volutes argentées” (vagues).

Immortalité de l’âme… la piste de la menorah

La menorah est présente à Carcassonne dans le trésor des wisigoths selon le livre de Luc Alberny Le glaive sur le monde
Ariely ©

C’est à Carcassonne que le Docteur retrouve la piste de la princesse Démétria, en passant devant une boutique d’antiquités aux alentours de la porte narbonnaise. En fait de boutique, c’est avant tout le point d’entrée d’un passage souterrain aboutissant à la salle des trésors wisigothiques ! Maritza et Kamenef y séjournent également. Leur but étant la recherche et la vente des trésors d’Alaric afin d’alimenter les troupes armées et d’achever ainsi l’oeuvre de mort. Kamenef découvre une pièce mythique du trésor des wisigoths : la Menorah. Objet sacré et caché dans les soubassements de l’ancienne enceinte wisigothique, sous la tour de trésor, à proximité de la plus récente Tour du Trésau… Car selon Luc Alberny, les véritables détenteurs de la Menorah sont bien les wisigoths, lors du sac de Rome en 410, et non les vandales qui assiégèrent Rome en 455…

Kamenef cherche à vendre la Menorah une centaine de millions à un vieil homme de confession juive, avant de rencontrer Praski. Le but n’était évidemment pas d’amasser les richesses mais d’alimenter en armes les différentes factions en guerre afin d’éliminer le plus de “corps démiurgiques” et de libérer le plus d’âmes dans chacun des deux camps. En fait, dresser les nations les unes contre les autres pour vaincre la guerre contre le démiurge et son monde de matière périssable. De manière indirecte, la vente de la Menorah contribue ici à la libération de l’âme !

Au sein de l’ordre des parfaits, Praski entrevoit la finalité de l’oeuvre : “Je vois le Grand Conseil où la Pensée règne seule. Je vois plus loin encore, je vois le dernier stade où la Pensée elle-même est oubliée, où tout l’être Matériel est anéanti. Je vois la pureté et la contemplation perpétuelle, la libération dernière, les Saints ! je vois les Saints ! l’Extase ! la Lumière ! l’Infini !”. Luc Alberny avait sans doute déjà perçu le parallèle entre la transformation du parfait cathare et de l’adepte alchimiste au fur et à mesure de leur avancée dans leur labeur respectif. Kamenef et le comte Praski sont tous deux des Parsis, adeptes du zoroastrisme et adorateurs du feu, célébrant le lumineux Ormazd et bannissant le ténébreux Ahriman. Kamenef semble plus ancré dans la matière par son désir de répandre le feu et le sang, il en tire des satisfactions qui alimentent sa perversité maladive. De plus, il confond l’amour pur et universel avec le désir vulgaire attisé par la flamme du démiurge, dont le seul but est de concevoir de nouveaux corps, là où règne la matière. En fait, Dieu est partout, la matière est illusoire et la méditation libère les âmes, nul besoin d’oeuvrer à la disparition des corps périssables qui s’effectue d’elle-même. Arihman, emprisonne l’âme dans la haine tandis que Ormuzd purifie l’âme , l’élève et la libère du corps, dans l’amour.

Le comte Praski et le major Vorep ne font qu’un, l’intéressé réfute ses étiquettes nominatives associées au corps et se proclame “Esprit de lumière” ou “Paraclet”. Il demande au Dr Dormans de se rendre au couvent de la montagne avec un message : “Il faut détruire la matière non vivante par le feu, et la matière vivante par le meurtre. Le meurtre et le feu, telles sont les deux grandes lois qui doivent maintenant régir le monde.” ; “Telle est la révélation que j’ai reçu d’Ormazd, le dieu de lumière, telle est la vérité à laquelle les hommes doivent se soumettre.” La guerre sacrée anéantissant la matière… “Je pensais pouvoir obtenir de nouveau ma libération, si j’arrivais à réaliser une grande oeuvre. Une “oeuvre de mort”.

Praski est censé couvrir d’or le médecin s’il effectue sa mission et lui confie son propre échec dans son ascension au-delà de la matière. Purifier la matière par un travail sur son propre corps démiurgique par le biais de la méditation. Praski s’enferme dans une cellule, à l’instar de l’alchimiste, qui séjourne dans son laboratoire dans le même but. Ôter toutes les scories et purifier la matière jusqu’à atteindre la transparence et la lumière ! “J’ôtai mon vêtement et j’entrai dans la contemplation et l’immobilité dernière. Je sentais les attaches matérielles m’abandonner les unes après les autres. Mon corps se désagrégeait et retombait peu à peu dans le néant. Comme une chrysalide, je me dépouillais lentement de ces enveloppes grossières qui m’avaient si longtemps asservi. Je devenais léger, éthéré, divin. Je tendais déjà mon âme éblouie, radieuse vers la lumière. Et ce fut alors que l’irréparable se produisit…” ; “A ce moment même où mon âme se dégageait, se libérait, s’élevait en extase vers la lumière, mon corps, mon triste corps, que je croyais pourtant anéanti me trahit.”

La Tentation de Djehli

“Une femme voilée de gazes légères, de gazes constellées de paillettes d’or et de pierres précieuses était devant moi.” S’ensuit dès lors une résurrection de la chair et de la conscience des bas instincts, submergée de désir et de passion. “Djehli, la déesse de la luxure avait triomphé”. Plus tard, à son réveil, son corps brûlait, un corps entier, neuf et d’une force incroyable. Après une nuit d’orgie : “Au dehors, les gongs résonnaient, des chants s’élevaient, des prêtres vêtus d’or et de pourpre passaient, et le foule délirante criait ; Le Bahram Amavand est remonté vers Dieu, Gloire à Ormazd ! Gloire à la parole sacrée ! Gloire à l’Esprit-Lumière, Gloire à l’Esprit-Feu !” Dans ce fondement alchimique de l’union des contraires, de cette dualité apparente, la tentative du comte Praski de changer et transformer la matière, s’est soldée par un échec. Or ici, la matière, c’est l’homme dont le corps (le Moi) et l’âme (le Soi) luttent l’un avec l’autre, à l’image de “Jacob avec l’Ange”.

L’Autrichien, vaincu par ses anciens démons, souhaite prendre sa revanche. Il embrase l’Europe dans une guerre sacrée afin de libérer les âmes, en masse ! Le grand couvent des élus lui propose d’entrer dans le conseil des chefs. Mais Praski se considère comme le Paraclet, le sauveur des âmes, voire dieu lui-même. Il est le glaive qui vient s’abattre sur le monde du démiurge !

De l’autre côté du miroir…

Une terrible nouvelle survient, Maritza serait décédée d’une maladie contractée dans les pays lointains. Ses dernières paroles furent pour le Dr Dormans dont elle prononça le nom durant son agonie. Ce dernier décide de rédiger un roman en son honneur. Mais à la place de l’encre noire (Nigredo) pour débuter la rédaction de son oeuvre, ce sont deux grosses larmes cristallines qui viennent s’abattre sur la page blanche (Albedo). Des larmes de sel qui scellent leur union. Dr Dormans (Soufre) uni à Maritza (Mercure), par-delà les éléments, l’espace et le temps (Rubedo).

Il est bien évident que Luc Alberny a souhaité traiter du sujet hermétique dans son roman, bercé par l’histoire et l’alchimie des lieux de son enfance. Par son approche originale, c’est un “regard nouveau” qui s’offre au lecteur en quête de savoir. La date de rédaction de l’oeuvre permet un rapprochement avec la “source originelle” d’un savoir perdu. En effet, ce roman offre une nouvelle piste de recherche autour de la grande énigme des abbés audois et ne laisse aucune place aux multiples impostures et dérives plantardiennes qui interviendront bien plus tard. Toutefois, la voie initiatique de Pierre Plantard s’inscrivait dans un cadre qui se voulait, dans une certaine logique, être la continuité, voire l’aboutissement de la quête ultime. L’angle d’approche qui est ici proposé est relié incontestablement au mythe trésoraire wisigothique, lui-même associé au Grand-Oeuvre alchimique. L’auteur ne renie donc en rien l’entreprise de ses prédécesseurs, dépositaires du Grand Secret…

12 décembre 2022, Christophe Remondiere ©

La menorah redécouverte par Luc Alberny

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NOTES

Au sujet de Maritza

“Manès décrit dans ses chapitres cette femme d’une grande beauté qui est comme une forme idéale conçue par le Verbe et qui s’avance vers l’homme son frère pour le sauver ; c’est Sophia pour les gnostiques, Maria pour les cathares, c’est l’âme parée de toutes ses fleurs de sagesse qui vient vers l’homme enchaîné.” (“Le Génie d’Oc et l’homme méditerranéen” – “Les cathares et l’amour spirituel” – p129 – Cahiers du sud – Déodat Roché)

Le Mammouth Bleu

On reconnait parfois à travers le vocabulaire employé, quasi à l’identique, la trame d’un autre roman de Luc Alberny, qui sera publié en 1935 : “Le Mammouth Bleu” (Lire l’analyse du “Mammouth Bleu”). “Leurs têtes immobiles semblaient vivre une béatitude solennelle”. “La présence de ces lourds animaux d’aspect antédiluvien…” (ici, des buffles et non des mammouths). Lors de la sortie du souterrain : “Le jour ! Je courus comme un fou, les bras levés. Aspirant l’air à pleins poumons, je traversais rapidement la cave et par le petit escalier, je débouchai sur l’arrière-boutique. Le petit jardin sur lequel elle s’éclairait, me fit l’effet d’un paradis terrestre.” Les similitudes sont saisissantes entre les deux romans et démontrent bien l’intérêt de Luc Alberny pour la spiritualité et plus précisément de la recherche de l’unité, du centre et de l’extase divine. “Je vois plus loin encore, je vois le dernier stade où la Pensée elle-même est oubliée, où tout l’être Matériel est anéanti. Je vois la pureté et la contemplation perpétuelle, la libération dernière, les Saints ! je vois les Saints ! l’Extase ! la Lumière ! l’Infini !”

Du bogomilisme au catharisme, la transmission

Par la découverte fortuite d’un parchemin à Yénisté-Vardar, qui s’avère être une bulle du Pape Innocent III organisant la croisade contre l’hérésie albigeoise, Luc Alberny soutient l’hypothèse d’une filiation entre Bogomiles et Cathares. L’histoire nous apprend que le concile cathare de Saint Félix de Caraman en 1167, aurait eu lieu sous la présidence de Nicetas (ou Niquinta) lui-même, scellant ainsi l’alliance entre bogomilisme et catharisme. Luc Alberny cite au sujet d’un lien entre bogomiles et cathares, une lettre de Philippe Auguste évoquant les “Bulgares” de la cité de Mur-de-Barroy, près de Rodez.

La thèse fantaisiste du roman

L’attentat de Sarajevo aurait été planifié par deux meurtriers de l’archiduc, affiliés eux-mêmes à l’ordre des parfaits. L’origine de la grande guerre aurait donc été programmée par les parfaits afin d’enclencher une lutte avec le démiurge dans le but de libérer les âmes de leur prison de chair. L’empereur Guillaume II fut alors considéré comme le nouvel Attila qui brandit sur le monde un glaive implacable ! En réalité, c’est l’ordre nationaliste de la main noire qui joua un rôle d’importance lors de l’attentat de Sarajevo.

L’ordalie de Fanjeaux

Fanjeaux, cité en début d’aventure, était un bastion cathare jusqu’à l’arrivée de Dominique de Guzman qui, grâce à une ordalie, réussit à convertir une assemblée cathare et à la rattacher à l’église catholique romaine, de sorte que l’auteur semble nous dire, par cet événement bien connu, que le récit qui va suivre est à lire et à comprendre de manière inversée. A savoir que le catharisme est une religion d’amour et de tolérance et non l’inverse comme c’est le cas dans cet ouvrage. Cette symbolique du miroir ou de l’envers, chère à l’initié Lewis Carroll, devait prendre racine dans ce roman de Luc Alberny. On la retrouve également à Rennes-le-Château sous la forme des deux enfants Jésus au sein de l’église mais aussi alentour comme à Serres dont le propre nom du village peut se lire à l’endroit comme à l’envers (palindrome), ainsi que dans la double croix bien connue de son église. D’autres exemples dans le pays audois orientent le pèlerin dans sa quête hermétique (Brenac, Alet-les-Bains, Notre-Dame de Marceille), et Luc Alberny n’y fut pas insensible…


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