Les templiers Procès et Métamorphose Interview de Philippe Liénard

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Philippe Liénard, un homme éclairé !

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Bonjour Philippe Liénard, nous vous remercions d’avoir accepté de répondre aux questions de la Gazette de Rennes-le-Château ert de l’Aude. Vous venez de publier « Les Templiers vers le procès et la métamorphose (1307-1517) » – Tome II aux Editions Champs Élysées – Deauville, en abrégé ECE-D, Paris, 2021.

Philippe Liénard : C’est moi qui vous remercie de l’honneur que vous me faites de vous intéresser à mes ouvrages. Je garde d’ailleurs en mémoire ce sympathique moment passé à Bras en 2019 lorsque j’ai pu y tenir conférence en participant comme invité à cette journée dédiée aux Templiers. J’y ai rencontré fraternité, sincérité et un bonheur partagé.

Philippe Liénard, auteur de Les Templiers vers le procès et la métamorphose (1307-1517) - Tome II
Philippe Liénard, auteur de Les Templiers vers le procès et la métamorphose (1307-1517) – Tome II

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Vous avez un vécu universitaire, juridique, éditorial et maçonnique très riche et diversifié ! Pouvez-vous le présenter à nos lecteurs ?

Philippe Liénard : Le voici présenté sans entrer dans les détails des divers métiers, productions, entreprises ou loges !

Faculté de Droit de l’Université de Bruxelles, option droit patrimonial approfondi / Cours de licence spéciale en droit économique / suvi de cours de Master en droit des affaires à l’Université de Louvain. Avocat en droit des affaires pendant une trentaine d’années (principal partner) ; Magistrat sup TPI. Ancien administrateur de successions & Curateur de faillites. Juriste (sociétés – fiscalité – commerce – droits intellectuels).

Auteur et essayiste, chroniqueur et animateur radio – tv (Paris), conférencier (France-Belgique-Suisse). Directeur de collection aux Éditions Jourdan (Bruxelles et Paris). Cofondateur et directeur général des Éditions Champs Élysées – Deauville (ECE-D), Paris – Bruxelles.

Consultant intergouvernemental en matière de sécurité (UE). Auteur de théâtre, metteur en scène (amateur) 1980 ; Cofondateur d’une école libre de philosophie. Cofondateur d’une ONG d’aide aux enfants au Vietnam 1995. Ancien membre actif de l’Association internationale Peace Way. Membre d’une Association laïque « La Pensée et les Hommes ». Officier supérieur de réserve.

Initié à la Grande Loge de Belgique (GLB), (Namur). Orateur, Député National, Vénérable-Maître. Cofondateur d’une loge de recherche et de régularisation (L’Avenir Écossais). Cofondateur d’une loge mixte pionnière (Waterloo), Vénérable-Maître et Grand-Maître coopté (GLMB). Cofondateur parrain d‘une loge au GOB, (Bruxelles); membre actif capitulaire et aéropagique REAA, titulaire des Hauts-Grades auprès du Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien et Accepté; Chevalier d’Éloquence, Maître de Séminaires philosophiques et Membre actif au Suprême Conseil REAA. Paticipant au Quatuor Coronati Circle in UK.

Écrits divers : « Énigme pour Carillon » (énigme policière) (1980) ; « On demande Monsieur l’éditeur ! » (Vaudeville) (1981) ; « Dixi ou l’Affaire Rosillac » (dramatique – procès des valeurs démocratiques) (1982) ; « Entre ténèbres et Lumière » (roman) (1995); « Accusés de la Loge, levez-vous ! » (2003) ; « Humains, ni plus ni moins » (2004) ; « De l’Amour, diamant d’Humanité » (2006) ; « Des Templiers à la Royal Society » (2006) ; « Mots et clavicules… en toute fraternité » (2007) ; « Sur le chantier, précurseur de pensée libre, l’Art royal grave ses vertus dans la Pierre et dans nos Cœurs » (2008).

Publications diverses : « L’Académie des néo-platoniciens » (2010) – Rituel théâtral (Hauts-Grades) destiné à la fête de l’Ordre du Suprême Conseil du REAA ; « Mais que font les Francs-Maçons en loge ? » (novembre 2016) (33 conférences précédées d’un rappel de ce que n’est pas la Franc-Maçonnerie, et d’un mot au sujet de antimaçonnisme); « Regard sur la Franc-Maçonnerie et l’islam, dialogue impossible ? » (janvier 2017) ; « Histoire de la Franc-Maçonnerie belge ; une existence « influente » depuis trois siècles ? – 1717-2017 (juin 2017 et 2018 – deux éditions) ; « Opus Dei, dans le monde et en Belgique, histoire et pouvoir réel » (février 2018) ; « Opus Dei, dans le monde et en France, histoire et pouvoir réel » (mars 2018) ; « Opus Dei dans le monde » ; « Illuminati. Histoire. Ici et maintenant. Au-delà de la théorie complotiste, la réalité » (juillet 2018) ; « Franc-Maçonnerie et islam. Au-delà des clivages » (août 2018) ; « Les Templiers, des origines aux germes de 1307. L’esprit du Temple », ECE-D Maison Champs Élysées – Deauville (oct 2019) ; « Penser la Franc-Maçonnerie du 21e siècle. L’Ordre maçonnique est-il menacé ? », ECE-D, Maison Champs Élysées – Deauville, Paris (mars 2020), avec Alain de Keghel; « La Mixité et la Franc-Maçonnerie. Modernité, défi ou utopie. » ECE-D, Maison Champs Élysées – Deauville, Paris (octobre 2020), avec Dominique Segalen ; « Les Templiers, vers le procès et la métamorphose (1307-1517) », publié chez ECE-D en janvier 2021 ; préfacier, auteur de diverses chroniques et articles notamment dans « Le Maillon » et autres revues en France et en Belgique.

Articles de presse dans divers journaux et revues au sujet des ouvrages de Philippe Liénard – Émissions radio et tv diverses sur RTL, BLTV, RTBF, Radio Delta, Almouwatin, etc.

Interventions et interviews de Philippe Liénard sur You Tube.

Le cheminement vers l’Ordre des « Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon », les templiers

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Après cette présentation vous situant dans les mondes professionnel et maçonnique, et en lien direct avec cette interview et la sortie du tome II dédié au procès et à la métamorphose des Templiers, quel est votre cheminement par rapport à l’Ordre des « Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon » ?

Les Templiers, vers le procès et la métamorphose, 1307 - 1517 de Philippe Liénard

Philippe Liénard : Un Cheminement interrogatif teinté de plus en plus d’admiration de respect et de fraternité. L’Ordre du Temple en son origine, en son esprit, et, en son extraordinaire développement remarquable d’innovation entraînent mon adhésion depuis longtemps. Ma proximité avec le Temple tel que je le perçois à travers mes études est acquise. Sa pauvreté, comme je l’explique dans mes livres s’interprète comme une humilité, pas comme une pauvreté matérielle de dénuement même si le Chevalier fait don au Temple de ce qu’il possède. Quant au Christ, il s’agit d’un concept qui a divisé au cours de l’Histoire selon les perceptions religieuses et philosophiques en ce qui concerne la personnalité de Jésus homme ou fils de Dieu, enjeu de l’assise du christianisme percé à jour par le Temple, tout comme le rôle essentiel de Marie-Madeleine et le vrai sens de la notion de vierge Marie, étranger à ce que l’Église en a fait. Les Templiers avaient une approche pertinente et éclairée sur ces sujets. Et enfin, le Temple de Salomon ramène à une antériorité intéressante et féconde qu’il serait long de développer mais qui interpelle à une époque où l’Ancien Testament n’est pas le véhicule privilégié du monde ecclésiastique. Elle convoque de s’intéresser à une époque antique riche qui n’a pas échappé aux Templiers que les premiers chroniqueurs ont dépeint comme simplement des moines soldats. Je m’insurge devant cette vision réductrice. Le Temple comportait bien plus de non-combattants que d’autres. En outre, il se composait de bien des « professions » franches ni monastiques ni se mesurant au fil de l’épée. Y régnaient égalité, partage et protection dans la sérénité d’une structure devenue immense. J’entre dans ce détail dans mes ouvrages. Le tome III s’y plongera puisqu’il constitue aussi une charnière entre ce symbolisme nominatif médiéval et son acception moderne depuis le XVIIIe siècle.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : A partir de quand avez-vous investigué sur l’Ordre du Temple et pour quelles raisons ?

Philippe Liénard : Oserais-je répondre d’emblée : depuis que je lis des textes qui disent tout et son contraire, qui caricaturent ou inventent n’importe quoi. Il s’écrit et il se dit donc nombre de choses au sujet des Templiers. Comme sur d’autres sujets qui ont aiguisé mes investigations, j’aime en savoir plus en allant au-delà des apparences, des idées préconçues ou des préjugés. Il en est ainsi dans tous les ouvrages que j’ai eu le bonheur d’écrire sur divers sujets. La dispersion de propos ou d’écrits dénués de fondement déforment une réalité déjà délicate et complexe à clarifier en ce qui concerne les Templiers car jamais il ne faut perdre de vue que nous disposons de peu de sources concernant l’avant 1129 (concile de Troyes) et qu’il n’existe aucun écrit direct relatif à la période où les deux Hugues se rendent en Palestine où naît en fait le premier Ordre. Je n’ai pas la prétention d’être le spécialiste des Templiers, mais voilà un moment que je lis ce que d’autres auteurs écrivent, que ce soit les professeurs Alain Demurger et Alain Desgris, notre regretté Laurent Daillez, et plus récemment Barbara Frale et Simonetta Cerrini, sans être exhaustif des auteurs anglo-saxons. Je creuse le sujet de manière scientifique et je vérifie les sources et les informations que nous possédons, en décalé puisque voilà plus de 700 ans que l’Ordre a connu une fin traumatique avec l’arrestation de 1307, la bulle de 1312 et ce dernier bûcher retentissant de 1314 à Paris. Depuis nombre d’années le sujet me passionne. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire mais à titre confidentiel,. De même il m’a été donné de rencontrer et de parler longuement avec des Templiers d’aujourd’hui, c’est-à-dire pour être plus précis, des néo-templiers, même si cette expression est regrettable. Mais après tout, la bulle vox in excelso de Clément V en 1312 a interdit de porter dorénavant la croix et de se revendiquer de l’Ordre du Temple sous peine d’excommunication et rien n’a changé, sauf des bulles ultérieures autorisant des Ordres comme celui du Christ en 1318 ou de Montesa en 1317 en d’autres contrées que la France. Ils ne seront que temporaires. Même la bulle ad providam christi vicarii qui cède aux Hospitaliers devenus l’Ordre actuel de Malte les biens des Templiers n’en fait pas des successeurs spirituels. Je me suis rendu compte que bien que l’on pense que les Hospitaliers ont tout récupéré selon le vœu du pape en 1312, les Templiers avaient déjà été spoliés dès 1307, par le Roi, par les donateurs ravisés, les diocèses, par le pape à ses fins propres et par des Templiers eux-mêmes, sûrement pour la bonne cause, du moins en partie. Ma vocation n’est pas de m’ériger en « réhabilitateur » du Temple, mais de m’inscrire comme une référence de parole libre capable d’expliquer ce qu’est la Temple, sans délirer, sans politique, sans encombrement théologique, et sans parti pris, au nom du beau, du bien et du juste.

L'arrestation des Templiers le 13 octobre 1307

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Quel fut l’élément déclencheur de la rédaction des trois tomes ?

Philippe Liénard : Je vous répondrais bien comme Columbo, si cet humour pouvait trouver ici une place. C’est grâce à ma femme qui avait son idée sur ce point. La maison d’édition a donc suivi à la double condition de ne pas redire ce qui a déjà été mille fois dit, et, que le sujet soit analysé par mes yeux de philologue déconstructif, c’est-à-dire d’historien qui aime à revisiter l’Histoire sans révisionnisme mais à la lumière des faits et de ce qui est à suffisance tangible que pour en tirer une information crédible revérifiée autant de fois qu’il le faut. Et tant pis si je mets le doigt sur des éléments qui déçoivent ou qui décoiffent, ou peut-être qui sont du hors piste, l’affaire des templiers étant déjà tellement balisée. Au-delà de la plaisanterie à la Columbo, qui n’est pas fausse, il y a eu ce défi de décliner l’aventure inédite des Templiers en trois angles car l’ensemble estimé aurait largement dépassé les 1200 pages. Effectivement, si le tome I n’atteint que 286 pages (et 294 références de recherches), le deuxième totalise 444 pages et 647 références. Quant au troisième, il atteindra les 600 pages pour plus de 1000 références. Un seul volume n’était pas envisageable. Le premier a consisté à partir à la recherche de ce qui a nourri un esprit templier à la lumière de leurs usages, de leurs références et de leurs pratiques. Le deuxième ambitionnait de braquer un projecteur sur la vie de l’Ordre, son développement, sa structure, sa marine, ses symboles, ses non-dits, ses difficultés, son rôle, ses dissensions, son freinage, sa chute et ce que je pense être son entrée dans la pérennité, pour ne pas dire plus. Quant au troisième non encore paru, il met l’accent sur ce que fut le Temple en son ADN, sa puissance inimaginable en cette époque et ce qui le perdra, en éclairant ce qu’il a laissé tant du point de vue matériel dans nos paysages que dans nos esprits même s’il y a eu une longue éclipse spirituelle jusqu’aux environs des XVIIe et XVIIIe siècles. Traiter le tout postulait trois tomes.

Les francs-maçons et les templiers

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Votre appartenance à la franc-maçonnerie vous a-t-elle aidé à l’une ou l’autre étape de vos investigations ?

Philippe Liénard : Une réponse de Normand s’impose : oui et non. Des francs-maçons estiment que la franc-maçonnerie n’a rien à voir avec les Templiers. Un convent à Wilhelmsbad au XVIIIe siècle a d’ailleurs tranché la question. Les historiens ont également tranché, mais il subsiste des zones d’ombres et des hasards curieux. Et surtout, il existe des Rites (méthodes de travail maçonnique) où le Temple des Templiers conserve une grande place.

Naîtront par exemple des mouvances maçonniques comme la « Stricte Observance Templière », en Allemagne vers 1755, à l’initiative de Karl Gotthelf, baron von Hund und Altengrotkau, qui ajoutera des éléments historico-légendaires à ce que l’on pensait connaître, mouvance à laquelle succédera le « Rite ou Régime Écossais Rectifié » en 1782 à Wilhelmsbad (Allemagne) lors d’un célèbre Convent qui se tiendra dans la banlieue de Hanau, en Hesse, le long du Main. Les actes de cette assemblée sont écrits et conservés par Jean-Baptiste Willermoz, secrétaire francophone, né en 1730 à Lyon, qui jouera notamment un grand rôle dans l’éclosion de la franc-maçonnerie des Hauts-Grades tant en France qu’en Allemagne, qui défendra le martinisme, courant maçonnique mystique judéo-chrétien de Martinez de Pasqually (1727-1779) et de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) sur la chute de l’Homme non sans influence de l’illuminisme.

On ne peut non plus négliger les traces templières encore très présentes dans la franc-maçonnerie, notamment à un degré particulier, celui du haut-grade de « Chevalier Kadosch », au « Rite Écossais Ancien et Accepté », sans en oublier d’autres comme celui de « Chevalier d’Orient et d’Occident ». D’autres Rites sont d’inspiration templière, comme le « Rite Suédois », d’origine franco-allemande, édifié par le comte Axel E. Wrede-Spare, officier de cavalerie. De très sérieux historiens n’ont pas manqué de s’interroger, comme le responsable des archives de la bibliothèque et du musée au Grand Orient de France : on n’a pas inventé « certains rituels juste pour faire joli ».

Une certaine franc-maçonnerie actuelle se revendique donc de l’histoire du Temple et des Grades spécifiques s’y réfèrent. L’engouement maçonnique pour les Templiers date du XVIIIe siècle. Des penseurs et des ésotéristes travailleront à la propagation d’un intérêt retrouvé pour le Temple, quitte à prendre des libertés avec l’Histoire. Et le succès sera au rendez-vous. En 1736, le premier discours à Paris du Chevalier de Saint Lazare, André Michel de Ramsay, précepteur des enfants de Jacques III Stuart, sur bases de ses recherches personnelles, mélangera histoire et légende en rattachant de manière quelque peu confusionnelle les Templiers, et plus exactement les Chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, aux Francs-Maçons, donnant ainsi le « top » des Hauts-Grades. On ne peut non plus négliger les traces templières encore très présentes dans la franc-maçonnerie, notamment à un degré particulier, celui du haut-grade de « Chevalier Kadosch », au « Rite Écossais Ancien et Accepté », sans en oublier d’autres comme celui de « Chevalier d’Orient et d’Occident ». Ce Rite a ceci de particulier qu’il n’est ni ancien, ni écossais, mais issu de nombre des réflexions et qu’il est né à Charleston aux États-Unis sous l’impulsion d’un Français.

Mais les références templières en franc-maçonnerie ne s’arrêtent pas là. Elle seront développées dans mon tome III : « Les Templiers, lieux et héritages du Temple. Franc-Maçonnerie et Néo-Templiers ».

Il y fort à parier que mes conclusions sur les liens du Temple avec les Francs-Maçons, avec Malte, avec les néo-Templiers et déjà il y a quelques siècles, avec les constructeurs, décoifferont, en demeurant justes toutefois et non partisanes.

Les croisades et les templiers

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Quels sont les arcanes et les coulisses des croisades, et en quoi ont-elles précipité la fin officielle de l’Ordre du Temple ?

Philippe Liénard : Mélanger les Templiers aux croisades est intéressant mais ils ne s’y confondent pas. D’abord, la première croisade commence après l’appel de Clermont du 27 novembre 1095 du très adroit tribun Urbain II, ce qui conduit à la première des huit croisades. Cette première croisade qui est un nom inventé a posteriori se nomme expédition militaire. Elle va prendre Jérusalem en 1099 après la participation des barons car la première phase fut d’un désordre aussi fou que mortel. Cette première croisade fut un acte politique que j’expose dans mon livre. On amplifiera une situation, on laissera croire que les lieux saints ne seront plus accessibles, et on tentera de résoudre à la fois un problème économique, un problème social et une inquiétude stratégique liée à la mouvance des Turcs seldjoukides qui font toutefois payer la dhimma pour accéder aux lieux de culte. Les croisés ne sont pas les Templiers. Et les Templiers sont l’encadrement, les conseillers, les penseurs, les troupes d’élites et les intellectuels des opérations en terre-sainte, mais seulement à partir de 1147. Hugues de Payens est mort en 1136. Son successeur va transformer l’Ordre. Robert de Craon laissera passer le Temple sous l’autorité pontificale. Les Chevaliers Templiers auront croix pattée en 1147, pas avant. Les privilèges et exemptions se multiplient. Pourquoi ? Les Templiers vont solidement aider lors des diverses expéditions, prendre pied, structurer, commercer, tisser des liens avec l’islam, le christianisme d’orient et avec le judaïsme, et nourrir des projets qui ne sont pas du tout ceux des seigneurs de l’époque ni même du pape. Progressivement, ils dérangent des puissants et d’autres Ordres « concurrents » alors qu’ils ont été destinés à être complémentaires. Pendant deux cents ans, les Templiers seront précieux à de nombreux titres, mais nul n’est irremplaçable. Le Temple en Occident finance le Temple en Orient. L’Ordre s’enrichit en puissance, en influence et en numéraire, en terres, en châteaux, en forts, en moulins. Il quadrille l’Europe. Il est possible d’aller de France aux États-Latins sans sortir de la protection templière vu le peu de distance qui sépare les maisons templières, les hospitos et les commanderies et relais. Mais en Orient, le Temple faiblit. En Occident, il gène. Et par dessus tout, sa force, son autonomie supra-étatique et ses liens privilégiés avec d’autres manières de penser le rendent inquiétant, même si dans un premier temps il inspire la crainte et le respect. La chute d’Acre en 1291 va accélérer le processus. Que Jacques de Molay devienne un nouveau Maître « surprise » à la défaveur d’Hugues de Pairaud posera des soucis tout comme sa vision stratégique. L’Ordre oriental était devenu superflu. Sa partie occidentale était désemparée et versait plus dans les activités commerciales, financières, maritimes et agricoles. La morphologie de l’Ordre le rendait vulnérable. Les croisades dans lesquelles les Templiers ont participé de toute leur foi, de leur honnêteté et de leur fidélité, ont entamé leur moral, leur confiance et les ont amenés à glisser vers d’autres horizons.

Carte des possessions et implantations templières lors des croisades.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Le procès des Templiers fut mené à charge ? Quels en sont les exemples les plus remarquables ?

Philippe Liénard : Sur base de quelques détracteurs et de rumeurs assassines, des 127 chefs d’accusation concoctés par Guillaume de Paris, inquisiteur, et par Guillaume de Nogaret, juriste de formation, pas une seule accusation ne subsistera. Et pourtant, Philippe le Bel y a mis le paquet. L’hérésie est le plus grave des crimes. La sodomie le plus vil car il ravale l’homme au rang d’animal. Aucun monarque ne le suivra. Rien ne tiendra, pas même l’usure… et pourtant… De tous les États de la chrétienté, il n’y aura de condamnés à mort qu’en France et que dans le comté de Provence, appartenant alors au roi de Naples et de Sicile, Charles II. Partout pourtant, les Templiers, avec plus ou moins de zèle, seront arrêtés, c’est-à-dire, pour être exact, une petite partie d’entre eux, les plus vieux, les plus faibles, de nombreux servants et sergents et des commandeurs non informés, outre, c’est vrai, quelques dignitaires, mais peu, même si l’un d’entre eux entrera dans une légende que jamais il n’aurait pu prévoir, et si on lui prêtera des paroles non prononcées comme l’a romancé Maurice Druon par exemple dans ses « Rois Maudits ». Les Templiers arrêtés furent soit brûlés vifs notamment à Paris en 1310 par de Marigny qui finira à Montfaucon. D’autres ont péri en prison. Plus de six cents membres du Temple furent cuisinés encore et encore, sur base d’un document nouveau pour l’époque, un formulaire-type, telle réponse conduisant à telle suite et pas forcément à la question suivante. On les interrogea dans leur chair, dans les tourments les plus atroces, de ceux qui vont tout avouer, même ce qui n’existe pas. Les minutes du procès retrouvées mal classées naguère de même que le parchemin de Chinon de 1309 au Château Saint-Ange à Rome sous un numéro de référence erroné, ont abondamment servi à voir clair dans les écrits en tous sens.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : 1314, fin de l’Ordre du Temple avec les dernières exécutions ! Dès lors, quels furent les évènements probants sur lesquels vous appuyez votre thèse pour justifier la suite et sous quelle(s) forme(s) ?

Philippe Liénard : La fin de l’Ordre de facto, c’est 1307, sur base d’un coup de filet orchestré par les polices de manière spectaculaire d’organisation, bien que le projet fut éventé et connu du Temple. La preuve : l’essentiel avait disparu le 13 octobre 1307, les Templiers les plus importants s’étaient volatilisés, et les pauvres Templiers arrêtés le furent sans fuir, encore au lit ou prenant leur petit déjeuner. Il n’y eut aucune résistance en France, comme si ce qui se passait était prévu. La fin juridique du Temple, c’est 1312. Sa fin morale à l’époque, c’est le bûcher de 1314 sur l’ile aux Juifs. Il y a pour la suite deux écoles. Celle qui consiste à prétendre qu’excepté quelques Templiers qui ont pu se cacher ou disparaître, c’en fut fini. Et l’autre, ayant nécessité de lourdes recherches, qui parvient à mettre en évidence plusieurs pistes, celle d’un départ outre-Manche ou outre-Atlantique. Les éléments ne manquent pas. Outre, bien sûr, le refuge que les Templiers nombreux ont pu trouver auprès d’autres Ordres dont ceux des Hospitaliers, du Christ, de Calatrava, de Montesa, dans les régions ibériques et en Écosse. Les documents ne manquent pas. Mais, application du principe du rasoir d’Ockam, entre deux solutions, celle qui semble la plus simple à l’esprit humain l’emporte. Il est plus apaisant d’imaginer l’Ordre mort, qu’un Ordre métamorphosé et ayant survécu à lui-même dans la diversité en plusieurs directions. Pourtant, tout est sous nos yeux. Encore une fois, c’est au-delà du voile et des apparences que la lumière se situe. Les Templiers ont semé cailloux et énigmes. Ils ont laissé une trace, un esprit, une mouvance d’idées. Elle n’est pas éteinte. Elle ne peut l’être car on n’éteint pas le feu régénérateur.

Pour comprendre les templiers

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Des documents récemment accessibles ou découverts vous ont permis d’actualiser les résultats des recherches et sont les fondements de ce deuxième tome ! Parmi le parchemin de Chinon, les archives secrètes du Vatican ou à la lumière de fouilles, etc., quel(s) document(s) a/ont-il(s) fait évoluer vos recherches ?

Philippe Liénard : Comme il en fut pour les manuscrits de Qumran, le Vatican a conservé par devers lui de capitales informations pendant des siècles. Il ne s’agit pas d’une accusation mais d’une constatation. Les chercheuses italiennes Frale et Cerrini, notamment, ont parfaitement débroussaillé ce travail archival. Les Templiers ont promu la recette d’une société nouvelle, pacifiée, aux doux accents révolutionnaires, de surcroît, et ce n’est pas peu dire, sans distinction fondamentale de principe entre hommes et femmes ou d’adhésion à une religion. Une grande première au XIIe siècle. L’idée n’était donc pas stricto sensu de former seulement des moines-soldats. Les Templiers n’ont pas choisi la voie de la guerre comme seule ligne de conduite. Ils y ont été mêlés par le Pouvoir et seront défaits par celui-ci. Imaginez-vous une seconde que l’Église rende publique cette réalité en pleine Guerre de Cent ans ou aux débuts du protestantisme après les thèses de Luther en 1517 ? Impensable. Et je n’y ajoute pas ce qui a fondé les pratiques et la sensibilité spécifique des Templiers et donc leur conviction au sujet de ce qu’ils ont pu voir et comprendre en orient, que ce soit à travers les récits oraux, les écrits, les messages laissés, et la tradition véhiculée par divers canaux par des mouvances proches des anciens Esséniens, les idées nestoriennes et celles des chiites dissidents du vieux de la Montagne sur le mont Alamut (Iran) où ils se sont installés bien avant l’arrivée des Templiers. Je cite les Assassins, ces gardiens à qui ont a taillé divers portraits peu flatteurs ou carrément déviants. La conviction des Templiers mise sur parchemin en 1309 a dû attendre la fin du XXe siècle pour être accessible. Les fouilles à Jérusalem restent interdites en divers endroits précieux, mais pas partout, pas en Palestine, pas au Liban, pas à Chypre, pas en Hongrie, et là, on s’aperçoit que le temple est resté fort méconnu. Certaines fouilles et certaines archives ne sont disponibles que depuis quelques années, et il faut lire le latin, l’hébreu et la langue d’Oïl.

Scriptorium templier

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Quel est le véritable sens du titulus INRI ? Page 153, vous écrivez : « La compréhension adéquate de ces quatre lettres renvoie au baptême du feu des Cathares. »

Philippe Liénard : INRI. Soit on lit ce tétragramme en sa formule latine tardive Jesus Nazaretum rex Judeorum, soit en sa formule gnostique Igne Natura renovatur Integra. Dans la première formule, on se réfère clairement à ce qui n’a pas été dit et qui a été monté en épingle pour alimenter un procès sans vérité et lui aussi politique, celui de Jésus. Dans la seconde, on touche à une pratique issue de la nuit des temps et à un message initiatique qui a traversé les siècles. La nature est intégralement régénérée par le feu. On pourrait presque parler d’un axiome scientifique. On pourrait le rapprocher de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Il est acquis pour moi à travers mes recherches que les Templiers entre l’Église de Pierre et celle de Jean, ont fait un choix, celui de l’Évangile de l’Apocalypse alliée au Prologue de cet Évangile dit de Lumière, à lire avec recul et au troisième degré au moins. Tout y est. Ce n’est pas pour rien que l’aigle (de Jean) figure dans les symboles templiers sur les sceaux secrets. Je tente de le démontrer à travers mes ouvrages. Et bien entendu, ce feu rapproche fortement des pratiques et croyances cathares, non hérétiques, mais politiquement insoutenables pour l’Église de l’époque. On notera au passage que si la croisade contre Albi fut menée, ce ne fut pas sous le pilotage des Templiers. Le Catharisme présentait des points communs avec le manichéisme perse, cher aux Templiers, Mani étant tout à la fois le successeur de Zarathoustra, de Bouddha et du Christ. Les origines des communautés dites hérétiques au sens péjoratif après l’an mil viennent notamment de Flandre, de Champagne et de Bourgogne. Étrange n’est-il pas ? Le catharisme s’émancipe de toute théologie puisque Dieu est inconnaissable et non accessible. Tiens, tiens. Pour les Cathares, le baptême du Feu est spirituel, comme dans d’autres mouvances, encore de nos jours. Pour les Templiers, le feu est spiritualité.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : A la fin de votre ouvrage (p. 420-425), vous prenez l’exemple de la famille Saint-Clair, de la confusion des prénoms et des liens entre la Normandie et l’Ecosse. Vous évoquez également divers trésors et la chapelle de Rosslyn. Nos lecteurs pourraient établir un lien avec le fameux Pierre Plantard de Saint-Clair ! Si la supercherie semble éventée, quelles auraient été les motivations plantardesques pour revendiquer une telle filiation ? Un autre lieu de dépôt se situerait sous la Croix-Rousse : les arêtes de poisson Lyon

Philippe Liénard : Sur base des recherches, l’Installation des Templiers en Écosse ne fait plus de doute. La bienveillance de la famille Saint-Clair d’origine normande prouvée à leur égard non plus, et la prospérité de cette famille en France, en Angleterre, en Écosse et aux USA ne souffre pas non plus de doute. Le reste relève de l’indiscrétion. Quant à Plantard, dès 1975 en effet, il se fait appeler de saint-Clair, mais nulle filiation ne lui fut jamais trouvée avec cette famille pourtant fort ramifiée. Je n’ai pas trouvé de source même dans les annuaires nobiliaires chevaleresques ni en France, ni en Angleterre ni en Écosse. Ma conviction est que cette innovation servait à asseoir sa logique. Après tout, n’a-t-il pas aussi en 1956 fondé le Prieuré de Sion… qui engendrera lui aussi bien des fantasmes. La logique de Plantard pouvait-elle relever de la déstabilisation des opinions et de l’histoire ? Ce serait un motif vu le personnage, mais les études sur ce point méritent d’être poussées. Ce n’est pas mon rayon. La déstabilisation au profit d’idées nouvelles sans preuves ni fondement, et la manipulation appartiennent à Plantard. Bien plus tôt, selon ses amitiés à l’Action Française avec Charles Maurras, il fondera en 1937 Alpha Galates, groupe d’extrémistes de droite qui soutiendra Pétain et son régime. Entre la recherche sur le Temple et les impasses auxquelles conduisent les circonvolutions d’un fumiste, je dois bien vous avouer que j’ai choisi.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : La date prise en compte pour la fin de ce deuxième tome interpelle : « 1517 » ! Pourquoi cette date ?

Philippe Liénard : On peut en effet s’étonner de cette date de 1517. L’ouvrage balaie une période allant jusqu’en 1517, c’est-à-dire au-delà d’un Moyen-Âge dont les historiens par convention ont décidé à la fois de la dénomination aujourd’hui remise en question, et à la fois du découpage chronologique, puisque ce Moyen-Âge pour les uns se termine en 1453, année de la chute de la ville de Constantinople, prise par les Ottomans de Mehmed II, ou en 1492, année de la soi-disant découverte de l’Amérique par Christophe Colomb qui n’arriva qu’aux Bahamas… Mais ce livre opte clairement pour une transgression historiographique, tant 1517 s’avère être une année exceptionnelle à la lumière du sujet traité :

– En février, le neuvième sultan Ottoman Selim 1er « le Terrible » (1470-1520), après le siège du Caire (Al-Qahira) annexe l’Égypte des mamelouks ; il devient le premier sultan à porter le titre de calife et de commandeur des croyants que lui aurait cédé le dernier calife abbasside et donc sunnite Al-Mutawakkil III, déporté à Constantinople… Un des fils de Selim sera Suleimān-i evvel (1494-1566), un conquérant, un des plus éminents monarques turcs pendant 46 ans, le chef de file incontesté de l’islam abbasside, connu sous le nom de « Soliman le Magnifique » en Occident et sous l’appellation de « Législateur » (Kanuni) en Orient en raison de la refonte complète du système juridique ottoman dont il a été l’initiateur.

– En mars, l’empereur Maximilien d’Autriche (1459-1519), Charles de Habsbourg dit Charles Quint (1500-1558) et François Ier, roi de France capétien de la branche des Valois s’allient contre les Turcs ottomans en vertu d’un traité de Cambrai datant déjà de 1508, contenant une partie publique et une partie secrète… à toutes fins utiles.

– Toujours en mars, lors du 5e concile de Latran, qui s’ouvre par l’intervention de Gilles de Viterbe, supérieur général de l’Ordre des Ermites de Saint-Augustin (qui a imaginé la notion de « guerre juste »), le pape Léon X, le 217e à avoir chaussé les souliers de Saint-Pierre, crée une congrégation pour lever des troupes en vue de la nouvelle croisade qu’il ordonne contre les Ottomans. Ce pontife, cardinal à 14 ans… sous Jules II, se nomme Jean de Médicis (1475-1521), fils de Laurent le Magnifique, né à Florence, ville de grande brillance intellectuelle en Europe, le nouveau Parnasse, mais lui que l’on voulait occire, ne portera la tiare que pendant deux ans puisqu’il meurt d’un « excès de joie ». Quant au lieu symbolique du concile, Saint-Jean de Latran, soulignons que le titre exact de cette archibasilique romaine bâtie dès l’an 320 est celui du « Très-Saint-Sauveur et des saints Jean-Baptiste et Jean l’Évangéliste ». On se souviendra qu’entre l’Église de Pierre et celle de Jean, les Templiers avaient choisi. Ce concile qualifié d’œcuménique ne l’a jamais été puisque seule l’Église catholique y a participé et pas l’Église d’Orient dite orthodoxe, séparée de celle d’Occident depuis 1054. Ce pape, détenu en France après la bataille de Ravenne (1512), restera francophobe, bien que Louis XII se montrera généreux avec la famille florentine de Léon X.

– En septembre, sont renouvelés les traités de commerce (capitulations) entre la République sérénissime de Venise et le vaste Empire ottoman.

– En octobre, vient la publication des quatre-vingt-treize thèses de Luther à l’origine du protestantisme, texte que le pape Léon X condamne en 1520 sans surprise. Elle annonce ce que l’on connaît sous le nom de Réforme.

Cette année 1517 comme l’année 1530 sont des charnières. 1517 compte tenu l’alliance de François Ier et des thèses de Luther semblait plus significative d’un virage vers de nouveaux clivages que n’auraient pas voulu les Templiers.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : La présence des femmes dans et à côté de cet Ordre est en grande partie occultée. Quelle fut leur réelle place, voire leur influence ?

Philippe Liénard : Derrière des Règles, l’Histoire a occulté le rôle des femmes dans les Ordres Chevaleresques. On les nommait de Chevaleresses. Mais pas seulement. Elles faisaient partie de l’Ordre à d’autres titres complémentaires mais nécessaires dans une communauté, une commanderie, un relais. Les récits sont nombreux, soit de chroniqueurs, soit de scribes, soit de sarrasins, soit dans les récits de troubadours et des trouvères. On aura vu des femmes se battre, à cheval, épée en main, armurées. On aura vu des femmes gérer et faire du commerce. Elles auront pris en charge de la comptabilité, de la draperie, activité très importante. Le rôles des femmes templières mérite un ouvrage à soi seul. Les Templiers pouvaient d’ailleurs prendre femme au sens de vivre avec une femme, à des conditions spéciales, à peine de quoi il cessait de porter son blanc manteau au profit d’un noir ou d’un brun toujours pourvu de la croix. En général, le Chevalier choisissait sa vie. Et surtout, nul ne lui en tenait rigueur contrairement à ce que la Règle dit, elle qui fut remaniée, modifiée et encore remaniée. La notion d’égalité, de respect et d’amour ne ressemble pas à ce que nous concevons aujourd’hui. On pouvait vivre avec une femme dans la chasteté. On pouvait aimer, voire plus, sans contrevenir à la Règle. Nombreuses sont les femmes à avoir servi sous le Temple, mais comme pour d’autres femmes, on le tut. On ne commencera à le savoir que lors de la fin du Temple quand les Hospitaliers passeront prendre leurs nouvelles demeures et à l’occasion des procès devant les baillis ou les sénéchaux, voire devant l’autorité ecclésiastique car les femmes avaient des droits, héritaient, étaient appelées à marquer leur accord lors de donations, sans être exhaustif. Des Ordres ibériques «s uccesseurs » du Temple ont eux aussi recouru à des chevaleresses.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Question à laquelle n’échappe aucun écrivain sur l’Ordre du Temple : quid du « fameux », « fabuleux » trésor des Templiers ?

Philippe Liénard : Toutes les rentrées de biens ou de numéraires garnissent les caisses du Temple. S’y ajoutent les revenus du commerce. Le Temple s’est fortement enrichi. Mais sa présence en orient coûte presque un million d’euros par an (conversion des acres sarrasins or) par Templier compte tenu de son entourage et de la logistique, sans compter l’entretien des forteresses et les transports par mer des hommes et des chevaux, outre l’acheminement de la nourriture et du matériel, via Marseille, Brindisi ou d’autres ports. Mais le Temple a disposé d’un trésor dont le concept va au-delà de l’idée préconçue. Tout cela ne se retrouvera jamais dans les confiscations opérées en 1307. L’inventaire est à la BNF. On l’a vu dans le tome II, soit le Temple ne possédait plus grand-chose vu le manque de rentrées des dernières années de l’Ordre après Acre vu les coûts, soit une partie de ses avoirs a disparu. La réponse adéquate n’est ni l’une ni l’autre mais les deux. C’est pourquoi à la fois on dit du Temple qu’il ne possédait plus d’argent et qu’il disposait d’un trésor. Le Temple a dû faire face à de grosses dépenses. Il a aussi voyagé et a pu mettre à l’abri hors de France certains avoirs. Pensons à l’Amérique et à l’Écosse notamment, sans exclure le Portugal par exemple ou même le Moyen-Orient. Mais l’imaginaire populaire a beaucoup accordé aux Templiers.

Pensons à des lieux de France. Nul n’ignore l’histoire du château de Gisors construit en 1096, dans l’Eure, en Normandie, à 60 kilomètres de Paris seulement, soit moins de deux jours de cheval. Les Templiers s’installent non loin et gardent les lieux de 1158 à 1160. Courte période. Thomas Becket y voyagera en 1169, lui qui semble très proche du Temple. Troublant. Bien plus tard, dans les années 1940, Roger Lhomoy, convaincu qu’à la veille de 1307, les Templiers ont évacué de Paris leur trésor vers Gisors, se met à y fouiller, après s’y être fait embaucher comme gardien. Il dira avoir découvert des choses à Gisors, des constructions sous terre et des sépultures, mais pas de trésor. En 1962, ce chercheur qui n’a pas reçu les autorisations municipales pour chercher plus avant, se confie à Gérard de Sède. André Malraux, alors ministre de la culture, donnera son accord pour fouiller à nouveau. On ne trouvera rien. Des légendes y seront nées, et elles demeurent alimentées. Le point d’interrogation subsiste.

Certains verraient bien une partie du soi-disant trésor des Templiers à Rennes-le-Château, dans l’Aude, où l’abbé Bérenger Saunière aurait fait des découvertes en 1891. Son enrichissement personnel reste en effet étroitement associé, dans l’imaginaire collectif, à la découverte d’un hypothétique trésor par cet homme sur le site même du village où se trouve l’église Sainte Marie-Madeleine. L’abbé ne semble jamais avoir donné l’origine de sa fortune, bien réelle. Fut trouvée sous le bâtiment une dalle dite dalle des Chevaliers. Le bulletin de la Société d’études scientifiques de l’Aude, dans son tome 31, de 1927, présente la dalle en ces termes : Pierre tombale carolingienne (…). On a trouvé également un crâne. Selon les expertises effectuées à la demande de la mairie, il s’agit du crâne d’un homme de 50 ans, décédé entre 1281 et 1396. Rien n’exclut qu’il s’agisse d’un Templier. Mais à ce jour, point de trésor. De nombreux écrits existent sur le sujet et quelques hypothèses, en ce compris le supercherie mise au point par Pierre Plantard.

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Quels seront les grands axes de votre troisième et dernier tome « Les Templiers, lieux et héritages du Temple – Franc-Maçonnerie et Néo-Templiers  » ?

Les Templiers, lieux et héritages du Temple – Franc-Maçonnerie et Néo-Templiers de Philippe Liénard

Philippe Liénard : Le tome III remontera à l’époque templière à travers ce qu’elle a laissé aujourd’hui à titre de vestiges encore visibles et à leur histoire à travers un « tour de France » des villes et des villages fourmillant d’anecdotes illustratives d’un esprit templier. La question se pose surtout de savoir ce que l’Ordre  a vraiment laissé via des pierres dans le patrimoine, ses anciens sites, les cathédrales peut-être, son esprit et une influence de pensée. Y a-t-il des héritiers de cet esprit et les trouve-t-on dans telle ou telle mouvance ésotérique ou religieuse ? 

Depuis le XVIIIe siècle, les Ordres templaristes ou néo-templiers ont fleuri dans plusieurs régions du monde, surtout en Europe, en France et dans le monde anglo-saxon. Il est malaisé de s’y retrouver mais tous revendiquent une légitimité avec l’Ordre dissous des « Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon ». La Franc-Maçonnerie a connu un intérêt filial avec l’Ordre. Mais l’Ordre des Hospitaliers, devenu Ordre religieux de Malte, très présent dans le monde au XXIe siècle, est l’héritier matériel du Temple depuis sept cents ans.

Dans cet opus III, je me penche sur les traces matérielles et immatérielles de l’Ordre templier et ses explorations en Amérique, en Europe et en Écosse, sur les liens héritiers avec le templarisme, celui qui a investi la Franc-Maçonnerie encore aujourd’hui (tome III) et celui qui engendre de nombreux émules dits néo-Templiers du XXIe siècle, souvent catholiques. Ce tome troisième remonte aux donations et aux constructions, et examine les liens entre Temple et Compagnons, et arrive à nos jours à travers les messages, les métiers du Temple, et l’ésotérisme qu’on lui prête. L’Histoire du Temple a laissé des édifices, des ruines ou des lieux spéciaux, une part de vérité, une part de légende et une place pour la confusion matérielle et spirituelle. L’Ordre des moines-soldats n’a jamais été que cela. En Occident, au sein du Temple, on cultive, on vit chiche, on cherche, on finance la « multinationale », on encourage la rénovation sociale et on crée une nouvelle économie.   

Les tomes premier et deuxième ont débroussaillé certains lieux communs répétés à l’envi.

La marque du Temple se ressent dans des mouvances diverses, mais des questions subsistent :  y-a-t-il encore des Templiers, que font-ils, et où se trouverait le trésor de la légende ? Le Temple du XXIe siècle, c’est quoi ? Chacun serait-il un potentiel Templier ?      

Gazette de Rennes-le-Château et de l’Aude : Philippe Liénard, nous vous remercions d’avoir pris le temps de partager vos connaissances avec les lecteurs de la GRLC ! Rarement une interview parue dans la GRLC nous a livré autant d’informations érudites passées à l’aune du sens critique ! Dire que nous vous conseillons la lecture de son livre est un euphémisme !

Achetez le tome II “Les Templiers vers le procès et la métamorphose (1307-1517)” !

Achetez le tome I “Les Templiers Histoire des Origines aux Germes de 1307” !

19 mai 2021, Johan Netchacovitch, rédacteur en chef ©


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